Le juge français et le droit communautaire (retour sur la décision du Conseil Constiutionnel du 30/03/2006, loi pour l’égalité des chances) (14/04/2006)

Un visiteur m’a suggéré de faire une mise à jour sur le CPE pour expliquer la décision du Conseil Constitutionnel du 30/03/2006.

Bonne idée. Donc, nouveau retour, en forme d’épilogue, sur le CPE.

 

Tout d’abord, un bref rappel des circonstances de la saisine du Conseil : gardien de la Constitution, le Conseil est chargé de  contrôler que les lois votées sont conformes à ses dispositions. Ce contrôle s’effectue dans le cadre de la procédure prévue par l’article 61 de la Constitution .

Seules peuvent faire l’objet du contrôle les lois non promulguées (donc non encore applicables) qu'il s'agit en quelque sorte de tuer dans l'oeuf si elles sont  en contradiction avec la Constitution. Le droit de saisir le Conseil est réservé au Président de la république, au Premier Ministre, au Président de l’Assemblée Nationale, au Président du Sénat ainsi qu’à  60 députés ou 60 sénateurs (depuis une révision de 1974). Quid du citoyen, vous et moi ? Eh bien, les portes de l’auguste juridiction nous sont fermées ce qui signifie que si une loi viole nos droits fondamentaux et que l’une des autorités désignées par l’article 61 a « oublié » de saisir le Conseil, tant pis : l’application de la loi ne peut plus être écartée pour non conformité à la Constitution (situation anormale dans un état de droit… mais ce n’est pas le sujet de cette note) .

Dans ce que j'appellerai « l’affaire du CPE », l’opposition parlementaire a saisi le Conseil pour qu’il examine la conformité à la Constitution des articles 8, 21, 48, 49 et 51 de la loi pour l’égalité des chances, l’article 8 étant celui qui créait le désormais « feu CPE ».

Durant la période de suspense insoutenable qui a précédé la décision, les pronostics sont allés bon train et on a entendu de nombreux commentateurs affirmer que vraisemblablement le Conseil constitutionnel allait invalider la disposition créant le  CPE. On nous a expliqué, notamment, que  la procédure n’avait pas été respectée (amendement déposé par le Gouvernement  en cours de discussion  à l’Assemblée, absence de consultation du Conseil d’Etat…), que  le CPE était contraire au principe constitutionnel d’égalité (discrimination envers les moins de 26 ans), que les règles internationales et communautaires avaient  été violées, ou encore, et c’est l’explication qui m’a le plus divertie, que le Conseil étant à la solde du gouvernement, il allait déclarer non conforme l’article 8 afin de ménager  à celui-ci une sortie de crise honorable (mais c’était ignorer que le Conseil constitutionnel, bien que ses membres soient désignés par les autorités de l’Etat, a  mis un point d’honneur à affirmer son indépendance comme le prouvent diverses décisions qu’il a prises).

 

Pour ce qui est de  l’argument tiré de la violation des règles internationales, le seul que j’évoquerai ici, pour rester dans l’objet de ce blog, le Conseil a opposé une fin de non recevoir se refusant à l’examiner au motif qu’ «  il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un accord international ». 

Car le  rôle du Conseil, tel qu'il résulte de la Constitution, est de contrôler la conformité de la loi à la Constitution ou de contrôler  la "compatibilité" de la Constitution avec un engagement international (par exemple, l’an dernier, avec le traité constitutionnel européen) . Mais s'il s'agit de contrôler la conformité d'une loi à un engagement international, ce n'est plus de la compétence du Conseil constitutionnel  mais de celle de la Cour de cassation ou du Conseil d'Etat. On appelle cela le contrôle de "conventionnalité" par opposition au contrôle de "constitutionnalité".

Cette solution vaut pour le droit communautaire. Elle est cependant appliquée moins strictement  lorsqu’est en cause la validité d’une loi transposant une directive européenne. Dans sa décision  no 2004-496 DC du 10 juin 2004, loi pour la confiance dans l’économie numérique , le Conseil a accepté de contrôler la conformité d’une loi à une directive européenne, parce que la loi en question transposait cette directive et que la transposition en droit français d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle (article 88-1 de la Constitution). Donc une loi de transposition d’une directive ne pouvait être en contradiction avec celle-ci sans violer de ce fait  l’article 88-1 de la  Constitution. Ce qui est rappelé dans le considérant 28 de la décision du 30/03/2006 :  « Considérant, d'autre part, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 88-1 de la Constitution : " La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences " ; que, si la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la compatibilité d'une loi avec les dispositions d'une directive communautaire qu'elle n'a pas pour objet de transposer en droit interne ».

 

La transposition d'une directive en droit interne est donc  seule hypothèse dans laquelle le Conseil accepte de confronter une loi à une règle communautaire et encore le fait-il de façon très prudente pour ne pas risquer un conflit d’interprétation d’une norme communautaire avec la Cour de justice des Communautés européennes, seule compétente pour interpréter les textes de droit communautaire.

 

Mais au fait, si le Conseil constitutionnel n'est pas compétent, comment fait-on au juste pour contester une loi contraire au droit communautaire? La suite dans une prochaine note....

 

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