En parler...quand même (18/05/2011)
Faut-il parler de l’affaire Strauss-Kahn sur ce blog ? A priori non puisque cela n’a pas vraiment de rapport avec le droit communautaire. Mais, comme beaucoup de gens, je lis la presse, je regarde la télévision, j’écoute la radio et je surfe sur internet. Oui, tout cela (je vis dangereusement ;-) ). C’est dire si depuis dimanche, je navigue dans un océan de rumeurs, de vraies fausses infos, de scoops éventés, de théories complotistes fumeuses et d’accusations sans appel de DSK tout aussi fumeuses. Et la moutarde me monte au nez. Vraiment.
Moi qui ne connais pas DSK, qui n’appartiens à aucun parti ou sphère d’initiés journalistique ou autres, je n’ai aucun scoop à délivrer : si vous cherchez cela, lecteur, passez votre chemin. Mais en tant qu’usager(e) des medias et d’internet, j’ai quelques remarques à faire.
Le première est que l’on a bien le droit, il me semble, de faire remarquer que pour le moment on sait peu de choses avec certitude et que l’histoire d’un DSK sortant nu de sa douche pour s’attaquer illico à la femme de ménage entrée dans sa chambre est assez curieuse. Dire que l’événement est tout de même assez difficile à croire (difficile, pas impossible) devrait être possible sans être tout de suite soupçonné(e) de n’avoir aucune compassion pour la victime présumée, et d’être insensible aux souffrances de la classe laborieuse (car j’ai lu des commentaires qui transformaient cette agression sexuelle alléguée en épisode de la lutte des classes...).
Deuxième remarque : si les faits sont vrais, cette histoire révèle qu’il s’agit d’un homme ayant une pathologie, d’un homme esclave de ses pulsions, non ?
Et cela ne s’est jamais su avant ?
Au lieu de cela, on nous amusait avec des histoires de ryad, de porsche et de costumes coûteux. J’admire le sens des priorités de la presse d’investigation !
Certains articles ou livres avaient bien évoqué un « problème » de DSK avec les femmes : par exemple, l’expert en conduite libidineuse strausskahnienne (avec Mélenchon ça ne marche pas) qu’est devenu Jean Quatremer que l’on voit partout expliquer comment en 2007 il avait soulevé la question ce qui lui aurait valu des remontrances – modérées, on n’est pas chez les sauvages – de certains de ses confrères au motif qu’il avait franchi la ligne jaune en évoquant la vie privée d’un homme public. Jean Quatremer y revient d’ailleurs dans son dernier billet sur l’affaire Strauss Kahn. Et cela me rend assez ronchon de lire ce billet et les commentaires qu’il a suscités. Car d’ordinaire, j’apprécie beaucoup le blog de Jean Quatremer. Mais là, j’ai le sentiment de me balader dans Gala ou Voici, ce qui me donne l’impression de m’être égarée.
Car finalement de quoi parle-t-on au juste ? DSK était-il un gros dragueur, insistant à la limite du supportable, ou a-t-il contraint des femmes à des faveurs sexuelles, a-t-il abusé de sa position pour se livrer à du harcèlement, a-t-il agressé, a-t-il tenté d’agresser ? On croit rêver, mais le fait est là : tous les litres d’encre virtuelle déversées depuis dimanche (pour ne prendre que cette date de départ) conduisent à une seule réponse : on n’en sait rien. Tout est rumeurs, bruits de couloir, confidences susurrées entre gens du sérail et rapportées avec un savant mélange de précision et d’allusion (pour échapper à des poursuites). Et c’est sur cette base pour le moins instable que l’on voudrait nous faire croire qu’il aurait fallu que toute la presse ait le « courage » de Jean Quatremer (je rapporte l’appréciation de certains de ses fans énamourés). Je ne suis pas du tout d’accord. Car :
-ou DSK a eu une conduite criminelle et c’était un devoir des medias de nous en informer. Prenons l’exemple de l’écrivaine qui dit avoir subi une tentative de viol de la part de DSK en 2002 et qui aurait renoncé à porter plainte sous la pression de sa mère ( !). Elle en a parlé publiquement. Pourquoi les medias n’ont-ils pas enquêté à l’époque?
-ou tout ceci n’est que cancans sur un homme porté sur le sexe, ce qui en soi n’a rien de répréhensible et est strictement son problème et celui de ses proches et partenaires. Dans cette dernière hypothèse, les medias font bien de ne pas céder aux pratiques anglo-saxones et de respecter la vie privée des personnes publiques dans la mesure où celles-ci ne l’instrumentalisent pas.
Autre remarque : chaque jour, chaque heure, nous avons droit à de nouvelles révélations dont on ne sait pas toujours très bien d’où elles proviennent. Faut-il rappeler que pour le moment, seul le procureur et la police s’expriment ? Du fait des particularités des procédures judiciaires aux Etats-Unis, la défense (DSK et ses avocats) n’a pas encore accès aux charges qui pèsent contre elle. Elle ne les connaîtra que si le grand jury décide que DSK doit être jugé. Difficile dans ces conditions de présenter une défense. D’autant qu’à l’heure actuelle on peut supposer que les avocats sont occupés à enquêter pour réunir les preuves qui pourraient disculper leur client, si elles existent. Par conséquent, la seule chose dont nous puissions être - à peu près - sûrs à cette heure est que toutes les informations distillées s’insèrent dans une stratégie de communication et que dans celle-ci par la force des choses, l’accusation a une longueur d’avance.
Dernière remarque : on s’est beaucoup ému de voir un DSK menotté et pas vraiment à son avantage livré en pâture aux medias. Mais non, ce n’était pas un traitement spécial qui lui a été réservé parce que le proc n’aime pas sa tête, parce qu’il est français, parce qu’il est directeur du FMI et que les américains ne l’ont jamais accepté…et que sais-je encore. Non, il a eu droit à un tel traitement parce que c’est ainsi que cela se passe aux Etats-Unis. Que ceux qui ne l’ont pas lu se plongent dans le roman de Tom Wolfe, « le bûcher des vanités », et ils verront que la façon dont on procède avec DSK rappelle beaucoup les déboires du trader WASP qui en est le héros. Et ce n’est pas de bon augure pour DSK…
Enfin, vous l’aurez peut-être compris : je n’aime pas la chasse et encore moins la chasse à l’homme. Sur ce, à bientôt pour un retour aux questions européennes.
Domaguil
17:14 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : strauss-kahn, quoi de neuf en europe | Imprimer
Commentaires
"Au lieu de cela, on nous amusait avec des histoires de ryad, de porsche et de costumes coûteux. J’admire le sens des priorités de la presse d’investigation !"
Excellent! Mais peut-être n'existe-t-il pas ou plus de presse d'investigation? Plus sérieusement, moi aussi je suis gavé de lire ces articles inutiles et redondants qui nous expliquent que dsk était un gros lourd avec les femmes. D'accord avec vous: ou les medias savaient qu'il y avait des faits plus graves et ils devaient enquêter sachant les fonctions importantes que DSK occupait ou était appelé à occuper ou ils la fermaient au lieu de colporter des ragots.
Écrit par : Philéas | 18/05/2011
On ne prête qu'aux riches...Dommage que DSK se fasse épingler pour une affaire de viol et pas pour l'action qu'il a eu à la tête du FMI. Pour moi, ce mec est l'archétype de ce que peut produire la collusion de la politique et de la finance. Je lis, sous la plume de certains de ses appuis, qu'il aurait atténué les rigueurs des plans de redressement imposés aux pays endettés et que, finalement, il aurait joué un rôle "social" en évitant que les peuples de ces pays ne soient encore plus essorés qu'ils ne le sont! J'ai du mal à y croire. Et si c'est vrai, le moins que l'on puisse remarquer c'est qu'il n'a pas été très loin dans cette offensive "sociale".
Une question, Domaguil: que vient faire Mélenchon dans votre post? Vous ne pouvez pas vous en empêcher: il faut que vous le citiez. Vous ne seriez pas un peu amoureuse ;-) ?
Écrit par : Candide | 18/05/2011
Vous devriez être satisfait, Candide: pour une fois je ne m'en prends pas à votre chouchou puisque je remarque qu'il n'y a pas sur son compte de rumeurs salaces. Mais je vous assure que je ne me suis pas amadouée au point de tomber amoureuse de Mélenchon!
Écrit par : Domaguil | 18/05/2011
L'écrivaine à laquelle vous faites allusion et qui s'appelle Tristane Banon n'est pas seule à avoir eu des "problèmes" avec le "séducteur" DSK. La députée Aurélie Filipetti avait aussi raconté qu'elle avait été harcelée et qu'elle évitait de rester seule avec lui dans un endroit fermé: http://www.linternaute.com/actualite/politique/rumeurs-dsk/les-femmes-politiques.shtml
Écrit par : Julie | 18/05/2011
Dans "le bûcher des vanités", le Procureur veut « se payer » un blanc riche et influent pour plaire à son électorat noir et pauvre du Bronx. Il ne faut pas oublier qu’aux Etats-Unis les procureurs sont élus ce qui les rend particulièrement vulnérables aux pressions de leurs électeurs et qu’ils sont tentés de faire dans la surenchère en utilisant les medias pour donner des gages à l’opinion publique. On sait que les crimes sexuels sont particulièrement odieux aux yeux des américains, ce qui est très compréhensible et que l’on partage. Le Procureur est certainement tenté de faire preuve d’intransigeance et d’une plus grande sévérité dans l’affaire DSK parce qu’elle a un très fort retentissement médiatique. On voit bien qu’il y a une volonté de montrer qu’il n’y aura pas de passe droits : tous les commentateurs se sont étonnés que le maintien en liberté sous caution soit refusé à DSK alors que c’est habituel et que même Madoff en avait bénéficié. De là à penser que DSK est soumis à un traitement particulièrement sévère…Comme le remarquait Robert Badinter sur France Inter hier matin,
http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/sept-neuf/index.php?id=104974
il est évident qu’appliquer la même procédure à DSK qu’à un dealer n’est qu’un signe d’égalité formelle et, en fait, d’égalité trompeuse, car le dealer est inconnu et n’intéresse pas les medias alors que l’arrestation d’un homme public comme DSK est évidemment un événement médiatique. et le préjudice qui résulte de la diffusion des images de son arrestation, de sa comparution devant la juge, etc… que l’on voit en boucle et qui font le tour de la planète est incommensurable.
Écrit par : Renaud Favre | 18/05/2011
A Julie
Mais pourquoi n'ont-elles pas porté plainte? Nous ne sommes pas dans un pays judiciairement sous développé tout de même. On a formé les policiers à l'accueil des femmes victimes de violences sexuelles.
Est-ce quelles craignaient pour leur carrière?
Je n'arrive pas à comprendre les raisons pour lesquelles elles se sont tues si elles ont subi ce qu'elles affirment.
Écrit par : Laurence | 18/05/2011