Le traité de Lisbonne redessine les relations Etats Union européenne (21/01/2008)
La répartition des compétences entre l’Union et les états traduit une conception plus restrictive du rôle de la première. L’Union dispose des compétences que les États lui attribuent dans le Traité de Lisbonne (principe d’attribution). Toutes les autres compétences continuent d’appartenir aux États.
Les compétences de l’Union sont ainsi interprétées restrictivement : « l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent » (article 1§6 du traité de Lisbonne numéroté 3ter et devenu l’article 5 du TUE dans la version consolidée) ce qui est une formulation à la fois plus limitative que celle de l’actuel article 5 du traité sur la Communauté européenne («La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité » ) et de celle du traité constitutionnel. D’autant que le traité modificatif est moins explicite que ne l’était le traité constitutionnel européen qui donnait une liste des compétences exclusives de l’Union et de celles qu’elle partageait avec les états. Il semble beaucoup plus inspiré par le souci d’empêcher un empiètement de l’Union sur les compétences des états, voire de permettre à ces derniers de « reprendre la main ».
Ceci est confirmé par d’autres dispositions :
- L’article 1§56 du traité de Lisbonne (article 48 TUE dans la numérotation du traité de Lisbonne et également 48 du TUE dans la version consolidée) ouvre la possibilité de rendre des compétences aux États membres : « Le gouvernement de tout État membre, le Parlement européen ou la Commission peut soumettre au Conseil des projets tendant à la révision des traités. Ces projets peuvent, entre autres, tendre à accroître ou à réduire les compétences attribuées à l'Union dans les traités . Ces projets sont transmis par le Conseil au Conseil européen et notifiés aux parlements nationaux » .
- La Déclaration n° 28 dispose que les États membres exerceront à nouveau leur compétence lorsque l’Union aura cessé de l’exercer notamment en application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Le Conseil, sur l'initiative d'un ou de plusieurs de ses membres, peut demander à la Commission de soumettre des propositions visant à abroger un acte législatif pour garantir le respect de ces principes. « La conférence souligne que, conformément au système de répartition des compétences entre l’Union et les États membres tel que prévu par le traité sur l’Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres.
Lorsque les traités attribuent à l’Union une compétence partagée avec les États membres dans un domaine déterminé, les États membres exercent leur compétence dans la mesure où l’Union n’a pas exercé la sienne ou a décidé de cesser de l’exercer.
Ce dernier cas de figure peut se produire lorsque les institutions compétentes de l’Union décident d’abroger un acte législatif, en particulier en vue de mieux garantir le respect constant des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Sur l’initiative d’un ou de plusieurs de ses membres (représentants des États membres) et conformément à l’article 208 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le Conseil peut demander à la Commission de soumette des propositions visant à abroger un acte législatif.
La Conférence se félicite que la Commission déclare qu’elle accordera une attention particulière à ce type de demande ».
- Le traité de Lisbonne introduit un « système de freinage » renforcé dans le domaine social (totalisation des périodes d'assurance et exportation des prestations de sécurité sociale): si un état déclare qu'une proposition d'acte législatif porterait atteinte à des aspects importants de son système de sécurité sociale (par exemple en affectant l'équilibre financier) et demande au Conseil européen de se saisir de la question, la procédure législative sera suspendue. Le traité constitutionnel ( article III-316) prévoyait que le Conseil européen pouvait ou renvoyer le projet au Conseil pour qu’il décide à la majorité qualifiée, ou demander à la Commission de présenter une nouvelle proposition. Le traité de Lisbonne ouvre une troisième possibilité qui donne une marge de manœuvre supplémentaire au Conseil (donc aux Etats) en disposant que son inaction entraîne l’abandon du texte proposé: Si dans un délai de quatre mois, le Conseil européen n ‘a pas agi, en revoyant le projet au Conseil pour qu’il reprenne son examen, la proposition sera abandonnée (article 2§51 numéroté 42 et 48 du TFUE dans la version consolidée). Le même système était à l’origine prévu en matière de droit pénal, mais le traité de Lisbonne permet simplement l’évocation par la Conseil européen de la question (article 2§67 du traité de Lisbonne numéroté 69A - reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires et rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États - et 69B – règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière - et 82 et 83 du TFUE dans la version consolidée : Extrait : « Lorsqu'un membre du Conseil estime qu'un projet de directive visée au paragraphe 2 porterait atteinte aux aspects fondamentaux de son système de justice pénale, il peut demander que le Conseil européen soit saisi. Dans ce cas, la procédure législative ordinaire est suspendue. Après discussion, et en cas de consensus, le Conseil européen, dans un délai de quatre mois à compter de cette suspension, renvoie le projet au Conseil, ce qui met fin à la suspension de la procédure législative ordinaire »).
- En vertu du protocole sur l’exercice des compétences partagées entre l’Union et les États, « lorsque l’Union mène une action dans un certain domaine, le champ d’application de cet exercice de compétence ne couvre que les éléments régis par l’acte de l’Union en question et ne couvre donc pas tout le domaine ». Cela a pour but de réduire strictement la portée de l’action de l’Union dans les domaines de compétence partagée. Concrètement, les États peuvent légiférer tant que l’Union n’a pas légiféré.
- La déclaration (n° 42)sur l’article 308 (cause de flexibilité) précise : « La Conférence souligne que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, l'article 308 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui fait partie intégrante d'un ordre institutionnel basé sur le principe des compétences d'attribution, ne saurait constituer un fondement pour élargir le domaine des compétences de l'Union au-delà du cadre général résultant de l'ensemble des dispositions des traités, et en particulier de celles qui définissent les missions et les actions de l'Union. Cet article ne saurait en tout cas servir de fondement à l'adoption de dispositions qui aboutiraient en substance, dans leurs conséquences, à une modification des traités échappant à la procédure que ceux-ci prévoient à cet effet ».
- Une déclaration (n°24) sur la personnalité juridique de l’Union précise que « le fait que l'Union européenne a une personnalité juridique n'autorisera en aucun cas l'Union à légiférer ou à agir au-delà des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités ».
- Une déclaration (n° 14) sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), affirme que la nomination d’un haut représentant de l’Union et la mise en place d’un service d’action extérieure « n'affecteront pas la base juridique existante, les responsabilités ni les compétences de chaque État membre en ce qui concerne l'élaboration et la conduite de sa politique étrangère, son service diplomatique national, ses relations avec les pays tiers et sa participation à des organisations internationales, y compris l'appartenance d'un État membre au Conseil de sécurité des Nations unies ». de plus, ajoute cette déclaration : « les dispositions concernant la politique étrangère et de sécurité commune ne confèrent pas de nouveaux pouvoirs à la Commission de prendre l'initiative de décisions ni n'accroissent le rôle du Parlement européen ».
Il existe d’autres dispositions dictées par le même souci d’empêcher l’Union d’empiéter sur les compétences des Etats.
Citons par exemple :
La protection diplomatique et consulaire : l’article III-127 du traité constitutionnel précisait que les « mesures nécessaires » pour assurer cette protection étaient prises par la loi européenne (l’équivalent du règlement directement applicable dans les ordres juridiques nationaux sans que les états procèdent à une transposition) .Le traité de Lisbonne est plus restrictif puisqu’il dispose que le Conseil pourra seulement adopter des « directives établissant les mesures de coordination et de coopération nécessaires » (article 1§36 du traité de Lisbonne numéroté 20 et article 23 du TFUE dans la version consolidée) . On pourrait faire des observations comparables dans d’autres matières (un autre exemple est la santé publique : l’Union n’adopte pas des mesures législatives concernant « la surveillance de menaces transfrontalières graves pour la santé, l’alerte en cas de telles mesures et la lutte contre celles-ci » comme c’était prévu dans le traité constitutionnel, mais des « mesures d’encouragement ».
En résumé, on peut déduire de cet exemple de dispositions un retour du « national » au détriment du communautaire par le biais des procédures décisionnelles, par la définition des compétences, mais également, on le verra dans un autre article, par le renforcement du rôle des parlements nationaux.
10:00 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Traité de Lisbonne, Union européenne, Etats, compétences, quoi de neuf en europe | Imprimer
Commentaires
Je ne comprends pas bien, à la lecture de cet article et des deux autres articles qui lui sont liés, en quoi le rôle des parlements serait réellement renforcé. Tout ce qui leur est réellement donné est un rôle consultatif. Par ailleurs, dans la mesure où la plus grande partie des démocraties concernées sont des démocraties représentatives, il en va assez certainement que les peuples des Nations européennes ne sont pas plus bénéficiaires de cette version du Traité que de la précédente. Nous avons déjà vu en France à quel point les parlementaires élus n'étaient pas du même avis que leurs électeurs...
Écrit par : James Becht | 01/02/2008
"Tout ce qui leur est réellement donné est un rôle consultatif".
Non. ils ont aussi un pouvoir de blocage (pour faire respecter la subsidiarité et pour faire échec à la mise en oeuvre d'une clause passerelle).
"Par ailleurs, dans la mesure où la plus grande partie des démocraties concernées sont des démocraties représentatives, il en va assez certainement que les peuples des Nations européennes ne sont pas plus bénéficiaires de cette version du Traité que de la précédente".
Et qu'est-ce que vous voulez comme système?
La démocratie directe stricto sensu est matériellement impraticable.
Ce que l'on peut faire c'est aménager la démocratie représentative de manière à donner un vrai droit d'initiative législative aux citoyens, de leur permettre un contrôle plus efficace de leurs élus, de les consulter sur les questions importantes (par ex. traités européens comportant des transfert de souveraineté).
Mais, de façon symétrique il faut que les citoyens soient mieux informés et éduqués. Car demander à quelqu'un de prendre une décision sur une question qu'il ne connait pas ce n'est pas de la démocratie, c'est la porte ouverte à toutes les manipulations.
Écrit par : domaguil | 01/02/2008
"demander à quelqu'un de prendre une décision sur une question qu'il ne connait pas ce n'est pas de la démocratie, c'est la porte ouverte à toutes les manipulations."
Oui, je ne peux que vous rejoindre là-dessus. C'est d'ailleurs le grand drame des sondages d'opinion...
Quant à l'impraticabilité matérielle de la démocratie directe, je serais moins affirmatif que vous ne l'êtes...
Il me semble qu'un fédéralisme respectant à 100% le principe de subsidiarité peut tout à fait s'articuler avec une pratique étendue de la démocratie directe. L'aménagement de la démocratie représentative, en tout cas, pourrait tout à fait inclure la révocabilité des élus (ne serait-ce qu'une fois par mandat par référendum populaire si celui-ci est demandé) ainsi que l'initiative populaire façon helvétique...
J'observe surtout que la tendance actuelle, en France comme en Europe, mais aussi dans un pays comme la Suisse, est à un Etat fortement centralisé. N'est-ce pas là l'effet d'un certain libéralisme économique, qui voudrait réduire l'Etat à une sorte de vaste entreprise qu'il faudrait gérer, plutôt que comme le représentant d'un ensemble de populations - et donc de moeurs, de cultures, etc. non réductibles à une logique purement économique - vivant sur un territoire historique donné ?
Écrit par : James Becht | 04/02/2008
Sur la démocratie directe :
D’accord pour le droit d’initiative populaire. Quant à la possibilité de demander des comptes à des élus je l’ai également évoquée (sous quelle forme, c’est à voir). Mais s’agit là de procédés de démocratie directe, non de démocratie directe stricto sensu dans la mesure où celle-ci impliquerait que les citoyens soient en permanence appelés à voter, ce qui est matériellement impossible. C’est ce que je voulais dire.
"J'observe surtout que la tendance actuelle, en France comme en Europe, mais aussi dans un pays comme la Suisse, est à un Etat fortement centralisé. N'est-ce pas là l'effet d'un certain libéralisme économique, qui voudrait réduire l'Etat à une sorte de vaste entreprise qu'il faudrait gérer, plutôt que comme le représentant d'un ensemble de populations - et donc de moeurs, de cultures, etc. non réductibles à une logique purement économique - vivant sur un territoire historique donné ?"
La France républicaine (je parle du pays que je connais le mieux) a toujours été jacobine. Ce n’est pas une tendance récente en ce qui nous concerne. On identifie ici la République à la Nation et la Nation c’est une entité collective qui prime sur les autres appartenances collectives dans notre histoire depuis la révolution de 1789. Donc, le territoire historique chez nous, dans la représentation que l’on s’en fait, que l’on nous a inculquée, c’est la France/Nation. Ca peut être aussi à la rigueur la ville ou le département, certainement pas la région , nos régions ne recoupant pas les anciennes provinces de l’ancien régime (qui auraient pu « concurrencer » l’Etat Nation) et apparaissant encore aujourd’hui malgré la décentralisation, comme des découpages administratifs.
L’une des raisons de la difficulté des relations entre la France et l’Union européenne réside précisément dans cette conception de la Nation et dans la crainte de la voir disparaître.
Je suis un peu intriguée de lire que la tendance actuelle en Europe est à un Etat fortement centralisé. Ni l’Espagne, ni l’Italie, ni l’Allemagne ne me semblent correspondre à cette description. Et même un Etat de tradition jacobine comme la France s’est engagé dans une décentralisation en 1982, beaucoup moins poussée cependant que les pays dans les pays que j’ai cités.
Écrit par : domaguil | 04/02/2008
Chère Madame,
très bien, je vous suis là enfin sur à peu près tout. Juste un détail, car je n'ai en effet pas été suffisamment clair dans ma formulation. Lorsque j'évoque une tendance à un Etat centralisé, j'évoque l'Union européenne... au risque de vous faire grincer les dents :-)
Si une décentralisation est observable dans certains pays (mais pour la France, j'avoue en douter : les - anciennes - administrations telles que La Poste, les Telecoms, l'EDF, ont tendance à regrouper leurs services dans un nombre de plus en plus réduit de lieux plutôt qu'à l'inverse, des écoles de campagne ferment à tour de bras, etc.), par contre, l'Europe ne se construit-elle pas, elle, suivant les principes posés à Maastricht, les fameux piliers, qui (tiens !) correspondent tout de même aux trois composantes de la souveraineté d'un Etat : politique économique, sécurité intérieure et relations extérieures ? Si tel est bien le cas, priver petit à petit les Etats de ce qui fonde leur souveraineté, n'est-ce pas dans le même mouvement former un Etat plus centralisé que fédéral ?
bien à vous
James Becht
Écrit par : James Becht | 07/02/2008
J'ajouterai, puisque j'évoquais aussi la Suisse, que les élites helvétiques font beaucoup d'efforts pour convaincre petit à petit les suisses que, tout compte fait, la démocratie directe ce n'est pas si bien que ça, et qu'il faudrait peut-être songer à l'aménager progressivement. On aboutit ainsi dans ce pays à une assez curieuse situation, puisque les éléments les plus conservateurs en viennent à défendre la démocratie directe et la souveraineté populaire, tandis que les plus progressistes prônent un passage progressif vers un Etat plus puissant. Les décisions du Tribunal fédéral concernant les naturalisations, qui étaient en réalité quasi-anticonstitutionnelles (pour ne pas dire tout simplement anticonstitutionnelles) sont allées dans ce sens ces dernières années. Ce qui fait d'ailleurs penser à la situation française concernant le Traité constitutionnel puis le Traité de Lisbonne. En gros : le peuple a droit à la démocratie, tant qu'il prend des décisions ne froissant pas les élites de l'Etat ! Je ne suis pas sûr que ce soit là non plus un brillant chemin vers la démocratie (qu'elle soit participative ou représentative par ailleurs).
Écrit par : James Becht | 07/02/2008