Un eurosceptique devant le Parlement européen (21/02/2009)
Qui ne connaît les sirènes, ces créatures séduisantes dont les attraits menaient vers l'abîme l'imprudent qui se laissait ravir par leurs chants ?
Loin de moi certes l'idée de comparer notre actuel Président du Conseil européen, le Président tchéque Klaus à une sirène (!) mais je voudrais cependant remarquer que depuis son arrivée à la présidence tournante de l'Union il nous sert la même rengaine eurosceptique, sans doute dans l'espoir que de la répétition naîtra la conviction.
A moins que son chant ne soit celui du cygne ?
Car il a peu convaincu malgré ses efforts jeudi au Parlement européen où, devant des députés que l'on imagine médusés, il s'est lancé dans une charge effrénée contre l'intégration politique européenne. Le discours, reproduit sur le site de la Présidence tchèque, est pour le moins étonnant, combinant le rappel des vieux démons communistes et l'ode au marché et à la dérégulation, ce qui dans le contexte actuel révèle, à défaut d'un talent visionnaire, une réelle obstination dans l'erreur.
Peut-être était-il contrarié du fait que les députés tchèques venaient de voter le Traité de Lisbonne, après des semaines d'incertitude durant lesquelles les eurosceptiques n'avaient pas ménagé leur peine pour obtenir le rejet du texte?
Toujours est-il que, tout en affirmant l'ancrage européen de la République tchèque et en qualifiant l'Union européenne d'expérience révolutionnaire, il a vertement critiqué le système décisionnel de l'Union européenne qui est au service d'une sorte de pensée unique, selon lui, ce que le Traité de Lisbonne ne ferait qu'accentuer. « Une seule voie y est imposée et celui qui cherche une alternative est considéré comme adversaire de l'intégration européenne », a-t-il affirmé, poursuivant avec un sens très personnel de la mesure: « Il n'y a pas longtemps que nous avons vécu dans notre partie de l'Europe sous un régime politique où toute alternative n'était pas admissible et, en conséquence, aucune opposition parlementaire n'existait. Nous avons fait cette amère expérience que l'absence d'opposition signifie la perte de la liberté. C'est pourquoi des alternatives politiques doivent exister ». On appréciera le parallèle entre l'Union et les anciennes "démocraties populaires" !
L'Union européenne a une fâcheuse tendance à traiter de questions qui devraient rester de la compétence nationale, estime le valeureux chevalier des libertés. Et de poser une question qui a certainement été du goût des députés : « êtes-vous sûrs - lors de tout votre vote - en décidant d'une affaire, que cette affaire doit être résolue justement dans cette salle et non dans un endroit plus près des citoyens, donc à l'intérieur des États européens ? ». Bref, pour M.Klaus il ne faut surtout pas plus d'Union européenne mais plutôt moins car la finalité de l'Europe communautaire n'est pas de « contredire la liberté et la prospérité » dans des pays qui ont connu l'oppression communiste. On appréciera, à nouveau, le rapprochement entre l'Union et le système communiste. Mais en démocratie tout le monde peut avoir ses lubies et en faire part aux autres...
Celles de M.Klaus sont finalement très simples : l'UE ne peut être qu'une zone de libre échange permettant à la rigueur la réalisation de projets ponctuels qui intéressent plusieurs pays. Et surtout, il faut éviter l'ingérence du politique dans le marché. Car, selon M.Klaus (et la thèse, on en conviendra, est originale), la crise actuelle n'est pas due aux excès du libre échange mais au fait qu'il y a trop de régulation notamment de la part de l'Union européenne. C'est pourquoi il ne faut surtout pas que le traité de Lisbonne entre en vigueur car tous ces « défauts » seront amplifiés. Voilà un exemple de plus (si besoin était) de l'incohérence de la position des différents adversaires du traité. Pour les uns celui ci est fondé sur une idéologie ultra libérale. Pour les autres, il consacre l'interventionnisme politique. Jamais apparemment ils ne s'interrogent sur la bizarrerie que constitue l'existence d'interprétations si diamétralement opposées d'un texte dont ils prétendent pourtant qu'il ne permet aucune interprétation alternative de ses dispositions. Et ils voudraient qu'on les prenne au sérieux ?
Le Président du Parlement européen a pour sa part choisi de répondre au discours de M.Klaus en rappelant quelques évidences sur la construction européenne et sur les règles démocratiques et en saluant (ironiquement ?) dans la prestation du Président tchèque « une expression de la diversité en Europe ». Cela ne méritait sans doute pas plus.
Domaguil
17:41 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : union européenne, traité de lisbonne, klaus, président tchèque, intégration, europe, quoi de neuf en europe | Imprimer
Commentaires
Très bon billet!
Ce qu'a dit ce Président est une honte. Il aurait fallu lui rappeler qu'il n'aurait pas eu l'opportunité de parler ainsi dans son pays du temps des démocraties populaires et que le fait qu'il puisse proférer ses inepties devant les députés européens, il le doit aux règles démocratiques en vigueur dans l'Union. Il y a des lancers de chaussures qui se perdent.
Rien à voir avec ce sujet: avez-vous lu le récent arrêt de la CJCE sur l'accès du public à l'information sur la localisation des cultures d'OGM? la France va devoir renoncer au secret, non?
Écrit par : Âlain Lacaze | 21/02/2009
Désolé et autant pour moi! J'aurais du ne pas me précipiter pour écrire mon commentaire. Je viens de voir que vous avez fait un billet sur la décision de la CJCE.
Écrit par : Alain Lacaze | 21/02/2009
Bonjour
Je croyais que le Parlement tchèque avait voté le traité de Lisbonne et pas seulement les députés.
Et par ailleurs, avez-vous des informations sur le recours dont a été saisie la Cour constitutionnelle allemande? Pensez-vous que le traité pourrait être invalidé?
Écrit par : Lucie | 21/02/2009
A Alain
Rien à ajouter, alors :-)
A Lucie
Le Sénat tchèque n'a pas encore voté. En principe, cela devrait avoir lieu prochainement (courant avril?) et l'issue du vote est incertaine, dit-on, car il y a de nombreux sénateurs qui considèrent que le traité se traduit par des transferts de compétences dont ils ne veulent pas. Quant à M.Klaus, il fait de la résistance et menace d'un recours. Ce n'est donc pas fini.
En ce qui concerne le recours devant la Cour constitutionnelle allemande, il a été examiné la semaine dernière mais les juges ne rendront leur décision que cet été, je crois. D'après de nombreux commentateurs, la décision devrait être favorable au traité. Ils rappellent que ce n'est pas la première fois qu'un tel recours est formé et que toujours la Cour a conclu à la compatibilité des traités communautaires et de la Constitution. Cela dit, il semble que les auditions aient été longues et que des réserves aient été exprimées par des juges sur les transferts de compétences. Donc l'issue pourrait ne pas être aussi "évidente" que les fois précédentes. Je n'en sais pas plus.
Écrit par : domaguil | 21/02/2009
Merci pour ces précisions.
J'ai oublié de l'écrire dans mon précédent commentaire mais j'apprécie beaucoup votre blog qui est le seul que je connaisse à expliquer si bien le droit communautaire. Pour être aussi pertinente et claire, vous devez être très compétente.
Écrit par : Lucie | 21/02/2009
De semblables contradictions existent entre partisans de l'Union européenne. Par exemple entre les atlantistes et ceux qui songent à une Europe-contrepoids (Lellouche vs Bayrou par exemple).
Et cela n'empêche pas ledits partisans de se prendre très au sérieux, voire de croire à leur propre supériorité en attribuant des brevets de sérieux aux autres...
Écrit par : edgar | 25/02/2009
"De semblables contradictions existent entre partisans de l'Union européenne".
Certes. Et alors?
La critique n'est pas là Mais dans le fait que les nonistes nous ont rebattu les oreilles avec leur traité gravé dans le marbre qui allait nous empêcher de mener toute politique alternative. Ils nous le présentaient comme un texte dont l'interprétation était parfaitement claire et univoque. Mais alors, comment se fait-il que ces soi disant dispositions qui nous lient les mains soient susceptibles d'interprétations aussi différentes et antagonistes dans le propre camp du non? Voila pourquoi je ne les prend pas au sérieux quand ils prétendent nous imposer leur vérité sur le traité.
Écrit par : domaguil | 25/02/2009