A qui profite la Politique Agricole Commune ? (02/12/2006)
Il y a un peu plus d’un an, l’ONG Oxfam avait mené campagne pour rendre publics les noms des bénéficiaires des subventions agricoles européennes au Royaume-Uni. On avait ainsi appris que des sociétés et des aristocrates prospères, et jusqu’à la Reine elle-même avaient bénéficié des subventions communautaires pour des montants très coquets qui les plaçaient au premier rang des bénéficiaires britanniques des largesses de la Politique Agricole Commune. Malaise à la confirmation de ce qui se dit depuis longtemps, à savoir que la PAC bénéficie surtout aux plus riches.
Pour sa part, la Commission européenne a décidé de jouer la carte de la transparence et a mis en ligne à destination du public les informations sur les bénéficiaires des aides agricoles européennes.
Mais il y a un problème : si elle a le pouvoir de révéler les informations concernant les subventions qu’elle octroie directement, en revanche, celles qui concernent les subventions transitant par les budgets des états qui sont chargés ensuite de les distribuer, dépendent du bon vouloir de ces derniers. Et l’on constate que la transparence, ce n’est pas forcément la tasse de thé de tout le monde. Actuellement, la Belgique, la Hongrie, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, les Pays-Bas, le Portugal, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Slovénie,l’Espagne et le Danemark sont les états ayant accepté de donner accès public à leurs informations (à des degrés divers).
Largement bénéficiaire de la PAC, la France, elle, refuse cet accès.
On peut peut-être trouver une explication à un secret si farouchement gardé dans un communiqué publié par Oxfam le 8 novembre 2005. L’ONG y affirmait (ce qui ne fut pas démenti) que les plus grandes entreprises agricoles françaises empochaient la plus grande partie des subventions agricoles européennes (les douze plus grandes entreprises recevant chacune plus de 500.000 euros par an en subventions et les deux plus grandes obtenant ensemble 1,7 million d’euros par an) (Oxfam, « Révélations sur les subventions agricoles en France »).
Conclusion d’Oxfam : « Les négociations actuelles à l’intérieur de l’OMC défendent en tout premier lieu les intérêts des grandes entreprises agricoles qui visent l’exportation, entrainant le dumping». Et pour que ce soit plus clair encore, l’ONG poursuivait : « En défendant les subventions agricoles, l’OMC protège de façon agressive de facto la France et les intérêts de l’agroindustrie », accusant la France de mentir lorsqu’elle avance que les subventions sont utilisées pour aider les petits agriculteurs « La plupart des petits agriculteurs - environ 90% d’entre eux - obtiennent seulement 17% des subventions qui sont distribuées depuis Paris ».
Un an plus tard, le soupçon est toujours là. Et je ne peux m'empêcher de remarquer que les appels à la transparence de la Commission européenne ne sont certainement pas dénués d’arrière pensées sachant qu’elle milite pour une réforme drastique de la PAC et que la France lui a mis des bâtons dans les roues. Or celle-ci aurait bien des difficultés à défendre le maintien en l’état d’une politique qui volerait au secours des riches et des puissants.
10:45 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : Politique agricole commune, PAC, bénéficiaires, subventions agricoles, informations, secret, France | Imprimer
Commentaires
Il me semble que la CADA a donné un avis favorable au magazine Capital pour obtenir la liste nominative des bénéficiaires de la PAC (refusé initialement par le gouvernement).
Le moteur de recherche de la CADA ne marche pas actuellement ...
Écrit par : Laurent GUERBY | 02/12/2006
A Laurent Guerby
Effectivement. L’avis de la CADA date du 19/01/2006 ( avis de la CADA sur le recours du magazine Capital contre Ministre de l’Agriculture, ref : 20055081) sur le site de la Commission : http://www.cada.fr
D’autres journaux avaient fait cette démarche pour contraindre le gouvernement français à divulguer la liste des bénéficiaires des aides de la PAC, de même qu’un centre de recherche, le Groupe d’économie mondiale (centre de recherche créé par Sciences po Paris)
http://gem.sciences-po.fr/content/research_topics/trade/agriculture_pactransparence_fr.htm
Mais comme l’observe cet organisme, l’information donnée par le ministère est partielle et non systématique (« Le Ministère français de l’agriculture s’avère incapable de suivre une politique cohérente en matière de transparence ») . Ce que constate également Farmsubsidy.org un réseau qui demande la transparence des aides de la PAC et suit celles-ci :
http://www.farmsubsidy.org/
avec la page consacrée à France qui donne une liste partielle (c’est tout ce qu’ils ont)
http://www.farmsubsidy.org/france?sQuery=&Go=search&countriesDropdown=france&countryDropdown=&countryPath=
Bref, glaner quelques informations sur les aides de la PAC en France relève du jeu de piste.
Le plus simple serait que la France joue le jeu en mettant les informations sur le site ouvert par la Commission pour le public. Mais elle ne le fait pas.
Écrit par : domaguil | 03/12/2006
domaguil, merci.
Y-a-t'il matière a saisir la justice ? (a défaut de bonne volonté du gouvernement ...)
Écrit par : Laurent GUERBY | 05/12/2006
domaguil, merci.
Y-a-t'il matière a saisir la justice ? (a défaut de bonne volonté du gouvernement ...)
Écrit par : Laurent GUERBY | 05/12/2006
A Laurent Guerby
Eh bien, si je n’ai pas trop oublié le droit administratif, oui, il y a un recours. Après l’avis favorable de la CADA, il faut à nouveau demander communication du ou des documents à l’autorité publique concernée par la demande et en cas de refus persistant (soit explicite soit résultant du silence gardé pendant 2 mois), former un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif (recours consistant à demander l’annulation de la décision de refus pour illégalité de forme et/ou de fond : en l’occurrence violation des textes sur la communication de documents administratifs, avec l’avis de la CADA comme preuve).
L’intérêt du REP est que le requérant peut saisir lui-même le tribunal (pas besoin d’huissier) et produire lui-même ses arguments dans un mémoire écrit (pas besoin d’avocat). Le coût est donc modique du moins en 1er ressort.
Les chances de gagner sont importantes puisque le juge va forcément tenir compte de l’avis de CADA (sauf aberration, mais il arrive à la justice d’errer :-), c’est vrai)
On peut cependant envisager qu'il ne soit pas nécessaire d'en arriver là et que l'on obtienne communication des documents sans décision de justice.
Écrit par : domaguil | 05/12/2006