13 pays de lUnion incriminés dans un rapport sur les activités secrètes de la CIA en Europe (23/01/2007)

En novembre 2005, divers medias titraient sur l’existence de centres de détention clandestins de la CIA en Europe de l’Est où auraient été incarcérés des terroristes réels ou présumés tels par les autorités américaines. Devant le scandale provoqué par ces révélations, des enquêtes étaient ouvertes tant au niveau national que dans le cadre du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, par l’intermédiaire, pour cette dernière, du Parlement européen.

 

 

Le 18 janvier 2006, celui-ci décidait de créer une commission pour enquêter sur l’aide qu’auraient apporté certains pays européens à la CIA pour transporter et détenir illégalement des prisonniers. Faute de base juridique pour créer une commission d’enquête proprement dite, la commission mise en place était une commission temporaire aux pouvoirs plus restreints (elle pouvait « inviter », mais ne pouvait pas « obliger », les représentants des États membres à se présenter à ses auditions).

 

 

Le mandat de la commission était donc de rassembler et d’analyser les informations nécessaires pour déterminer:

Une fois les informations collectées, la commission devait soumettre au Parlement des recommandations sur les conséquences  politiques, juridiques et administratives à tirer du résultat de l’enquête sur le plan européen et sur celui des  relations de l'Union européenne avec des pays tiers.

 

 

Le résultat d’une année d’investigation est un rapport présenté aujourd’hui par le rapporteur de la commission,  le député italien socialiste Claudio Fava, et qui sera soumis au vote du Parlement européen le 14 février.

 

 

Tout comme son homologue du Conseil de l’Europe qui dans un document rendu public le 07/06/2006 incriminait 14 pays membres du Conseil de l’Europe pour des violations des droits des personnes, le rapport de M. Fava conclut que plusieurs états de l’Union européenne connaissaient les agissements de la CIA et y ont prêté assistance à différents degrés (le moindre étant la passivité) : Italie, Royaume-Uni, Allemagne, Suède, Autriche, Espagne, Portugal, Irlande, Grèce, Chypre, Danemark, Pologne, Roumanie.

 

 

Le rapport relève que 1245 vols exploités par la CIA ont survolé l’espace aérien européen ou fait escale entre 2001 et 2005, grâce à un relâchement du contrôle des états sur leur espace aérien. Ces vols ont permis selon le rapport les « restitutions extraordinaires », autrement dit des enlèvements et des transferts d’un pays à l’autre pour subir des interrogatoires, le tout en violation de la légalité et notamment de la protection des droits. Ainsi, le rapport cite des escales d'avions exploités par la CIA dans des aéroports allemands, espagnols ou polonais,  « qui, dans de nombreux cas, provenaient de ou se dirigeaient vers des pays liés à des circuits de restitutions extraordinaires ou de transferts de détenus », certains des vols ayant Guantanamo pour destination. Le rapport met également en cause l’utilisation des bases militaires américaines comme centres de détention temporaire grâce là encore à l’absence de contrôle des pays sur le territoire duquel se trouvent ces bases. Dans la majorité des cas rapportés dans les diverses auditions réalisées, l’utilisation de la torture et du secret sont allégués.

Les conclusions du rapport reposent sur 130 auditions, des déplacements en ancienne République yougoslave de Macédoine, aux États-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Roumanie, en Pologne et au Portugal, et l’obtention de documents quelquefois confidentiels (par exemple, des enregistrements de la réunion transatlantique informelle entre l'Union européenne et les ministres des affaires étrangères de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), à laquelle a assisté la secrétaire d'État américaine, Condoleezza Rice, le 7 décembre 2005, confirmant que les états membres avaient connaissance du programme de "restitutions extraordinaires" et des prisons secrètes). Elles sont largement concordantes avec celles du rapport du Conseil de l’Europe. Ce qui incite à conclure à la fiabilité des informations. Le fait que de nombreux états incriminés ont refusé de répondre à la commission pousse également dans ce sens, comme l’exprime le rapporteur lui-même: « l’absence avérée de réponses concrètes aux questions des victimes, des ONG, des medias et des parlementaires a seulement renforcé la crédibilité d’allégations déjà étayées par ailleurs ». Et, au passage, le rapport administre une véritable volée de bois vert à certaines autorités nationales (la Pologne étant particulièrement mise en cause pour son « manque de coopération » ce qui vise aussi bien le gouvernement que…le parlement), au conseil de l’Union européenne et à Javier Solana le Haut représentant pour la PESC (politique étrangère  et de sécurité commune).

 

 

Enfin, le rapport formule un certain nombre de recommandations. Dans chaque pays, les parlements nationaux devraient à leur tour engager des enquêtes indépendantes et les états devraient se doter de lois efficaces pour contrôler l'activité des services secrets de pays tiers sur leur territoire. Au niveau de l’Union, la commission des libertés civiles du Parlement européen devrait à présent se saisir du dossier pour recommander, si nécessaire, des sanctions sur la base de l’article 7 du traité de l’Union européenne à l’encontre des états ayant violé les droits fondamentaux reconnus par l’Union. Le rapport demande également la fermeture de Guantanamo... Si justifiées soient-elles, ces recommandations ont un grave défaut: elles n’ont évidemment aucune valeur contraignante. Il reste l’intérêt de porter sur la place publique une question fondamentale que beaucoup de gouvernements  auraient certainement préféré tenir secrète. Peut-être cela les incitera-t-il à tirer les leçons de cette triste péripétie de la lutte contre le terrorisme voulue par Washington et à méditer ces lignes tirées du rapport de Dick Marty pour le Conseil de l’Europe : « Si les Etats du Vieux Continent ont fait face à ces menaces (ndr : terroristes)  en se fondant essentiellement sur les institutions et l’ordre juridique en place, les Etats-Unis semblent avoir fait un choix fondamentalement différent : estimant que ni les instruments classiques de la justice, ni ceux qui sont prévus par le droit de la guerre n’étaient à même de contrer efficacement les formes nouvelles du terrorisme international, ils ont décidé de recourir à de nouveaux concepts juridiques… Cette conception juridique est totalement étrangère à la tradition et à la sensibilité européenne et est manifestement contraire à la Convention européenne des droits de l’homme ainsi qu’à la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’ancien adage de Cicéron, inter arma silent leges, semble avoir gangrené même des organismes internationaux, pourtant censés assurer la primauté du droit et l’équité de la justice. Il est franchement inquiétant de devoir constater que le Conseil de Sécurité de l’ONU sacrifie les principes essentiels en matière de droits fondamentaux au nom de la lutte contre le terrorisme ».

 

Franchement inquiétant, effectivement.

 

Domaguil

 

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