La Commission européenne soupçonne la SNCF de bénéficier d’avantages anti concurrentiels (29/06/2010)
Après EDF et La Poste, c’est au tour de la SNCF d’être l’objet de l’attention pas très bienveillante de la Commission européenne qui soupçonne la société de transport de bénéficier d’une aide d’Etat contraire aux règles du droit communautaire de la concurrence.
Le 31 mai 2010, le journal les Echos révèle l’existence d’une lettre adressée le 11 février par la Commission européenne aux autorités françaises. Elle y demanderait de transformer le statut de la SNCF, d'établissement public à caractère industriel et commercial en société anonyme.
D’après les informations rendues publiques, la démarche s’explique par le fait que la Commission européenne est chargée de contrôler que les états ne favorisent pas certaines entreprises en leur apportant des soutiens financiers contraires aux règles communautaires de concurrence car ils faussent la concurrence et ne peuvent se justifier (l’article 107-2 et 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Ainsi dans une question au gouvernement, le député Jean-Claude Guibal rapporte que : « La Commission estime en effet que la situation juridique de la société nationale n'est pas compatible avec les règles de concurrence que Bruxelles avait édictées en 2008 pour encadrer les aides de l'État dans la perspective de la libéralisation du marché des transports ferroviaires. Elle dénonce notamment la « garantie illimitée » accordée par l'État à la SNCF, du fait de son statut d'établissement public à caractère industriel et commercial, statut qui, en excluant le risque de faillite, lui permet d'obtenir des conditions de crédit plus favorables ». La demande de transformation du statut serait donc la conséquence d’une analyse des services juridiques de la Commission selon laquelle la garantie de l’Etat (garantie interdite aux termes du droit communautaire, en raison de son caractère illimité) serait en quelque sorte « consubstancielle » au statut d’Etablissement Industriel et Commercial.
Un statut particulier
Le droit français distingue deux grandes catégories de services publics (c’est à dire des activités ayant un but d’intérêt général), les services publics administratifs et les services publics industriels et commerciaux qui à la différence des premiers sont des activités lucratives qui pourraient être exercées normalement par des entreprises privées, mais ne le sont pas ou pas correctement, justifiant ainsi l’intervention de la puissance publique pour faire face à un besoin qui ne serait pas satisfait ou pas de façon satisfaisante (l’intervention publique est expliquée en effet souvent par le souci de garder le contrôle et d’assurer efficacement une activité jugée fondamentale ou sensible). L’Etablissement Public est l’institutionnalisation d’un service public qui se trouve doté ainsi de la personnalité juridique lui permettant d’avoir une autonomie (notamment budgétaire) plus ou grande par rapport à la collectivité qui l’a créé. L’Etablissement public industriel et commercial (EPIC) est donc une personne publique qui, comme son nom l’indique, gère une activité de service public industriel ou commercial à titre principal. Les établissements publics ne peuvent pas être mis en faillite car l’Etat est indéfiniment responsable de leurs dettes.
La doctrine de la Commission en matières d’aides d’Etat accordées sous forme de garanties a été rappelée dans une communication récente . La communication s’applique notamment aux «garanties illimitées, par opposition aux garanties limitées dans leur montant et/ou dans le temps », la notion de garantie englobant, souligne la Commission « les conditions de crédit plus favorables obtenues par les entreprises dont la forme juridique exclut la possibilité d'une procédure de faillite ou d'insolvabilité ou prévoit explicitement une garantie de l'État ou une couverture des pertes par l'État».
Selon la Commission « les garanties accordées directement par l'État, c'est-à-dire par les autorités centrales, régionales ou locales, ou au moyen de ressources d'État par des organismes publics tels que des entreprises, et qui sont imputables aux autorités publiques peuvent constituer des aides d'État ». Elle ajoute : « Afin de dissiper les doutes à ce sujet, il conviendrait de clarifier la notion de ressources d'État à l'égard des garanties d'État. Cette forme de garantie présente l'avantage de faire supporter par l'État le risque qui y est associé. Or cette prise de risque devrait normalement être rémunérée par une prime appropriée. Lorsque l'État renonce à tout ou partie de cette prime, il y a à la fois avantage pour l'entreprise et ponction sur les ressources publiques ». Selon cette conception, donc, une garantie accordée à une entreprise publique ne peut être compatible avec le marché commun et être conforme au droit communautaire que si elle est limitée, notamment dans son montant et si elle donne lieu au « paiement d’une prime conforme au prix du marché » par l’entreprise qui en bénéficie.
Offensive de la Commission européenne contre les EPIC ?
La Commission européenne considère toujours avec méfiance les établissements publics industriels et commerciaux français. Ceux-ci bénéficient d’un avantage certain par rapport aux entreprises privées du même secteur grâce « au principe de responsabilité en dernier recours de l'Etat », car sa simple existence en rassurant les prêteurs, permet aux entreprises publiques d’emprunter à des conditions plus favorables. Cette analyse a conduit précédemment la Commission a remettre en cause la garantie dont bénéficiait La Poste . Elle récidive donc, avec une suite dans les idées certaine, en contestant cette fois celle dont bénéficierait la SNCF.
Mais, pas plus qu’avant, la Commission européenne n’a aucun droit de demander une réforme du statut de la SNCF. D’ailleurs, à l’époque de la privatisation d‘EDF décidée par le gouvernement français de l’époque, le commissaire européen Monti avait rappelé : « Il n'appartient donc pas à la Commission de demander la privatisation des entreprises ou, inversement, leur nationalisation. La décision de privatiser une entreprise relève de la seule responsabilité des Etats membres ».
La Commission aurait-elle cette fois tombé le masque et serait-elle passée ouvertement à l’offensive contre les EPIC au nom du sacrosaint principe de concurrence, quitte à violer le principe de neutralité posé par l’article 345 du TFUE selon lequel : « Les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres »? C’est possible, et cela ne ferait que confirmer une orientation idéologique déjà observée. Mais cela ne signifie pas que le gouvernement français doit se plier à son interprétation.
Contestation de l’analyse de la Commission
Tout d’abord, il faut remarquer que ce qui est en cause, comme dans les affaires d’EDF et de La Poste, est le caractère illimité (dans le temps et le montant) de la garantie d’Etat. Or, selon les autorités françaises, le statut d’EPIC n’implique nullement la garantie illimitée de l’Etat. Elles allèguent d’ailleurs que celle dont bénéficiait la SNCF a été supprimée depuis plusieurs années.
Il reste, il est vrai, l’argument de la Commission selon lequel une garantie implicite de l’Etat serait contraire au droit communautaire. En d’autres termes, en l’absence de garantie expresse, un EPIC bénéficierait quand même d’un avantage concurrentiel simplement parce que les marchés financiers croiraient que l'État se porterait garant en cas d’insolvabilité et de difficulté de l’entreprise. De fait, la SNCF est très bien notée par les agences financières, ce qui lui permet d’emprunter à des taux préférentiels, et cette bonne notation est imputée notamment au fait que les investisseurs associent la SNCF au soutien de l’Etat. Une observation que confirme la nouvelle rapportée par la tribune selon laquelle l’agence de notation Standard & Poor's a abaissé la note de crédit de la SNCF, l’agence expliquant : « Nous pensons que les règles européennes pourraient faire peser des contraintes de plus en plus fortes sur tout soutien potentiel de l'État à la SNCF qui ne serait pas fondé sur une pure logique financière ».
Selon la Commission, peu importe que la garantie soit mobilisée ou pas pour constituer une aide publique contraire au droit communautaire : « même si, finalement, l'État n'est pas amené à faire des paiements au titre de la garantie accordée, il peut néanmoins y avoir aide d'État au sens de l'article 87, paragraphe 1, du traité. L'aide est accordée au moment où la garantie est offerte, et non au moment où elle est mobilisée ou à celui où elle entraîne des paiements. C'est donc au moment où la garantie est donnée qu'il y a lieu de déterminer si elle constitue ou non une aide d'État et, dans l'affirmative, d'en calculer le montant ».
Une impression favorable, une aide potentielle pourraient donc être considérées comme constituant des avantages concurrentiels indus, d’après la Commission européenne. Mais ce n’est pas l’avis du Tribunal de l’Union Européenne qui dans un arrêt du 21 mai 2010 concernant France Telecom a jugé que, contrairement à ce qu’avait décidé la Commission, l’entreprise n’avait pas bénéficié d’une aide d’état, puisque l’aide annoncée n’avait pas été payée et que la simple annonce ne suffit pas à prouver l’existence d’une aide d’état (9). Et précise également le tribunal : « la reconnaissance de l’existence d’une aide doit reposer sur des constatations objectives et non sur la seule perception des acteurs du marché. En tout état de cause, une simple attente du marché ne saurait en tant que telle créer une quelconque obligation légale d’agir dans un sens souhaité (voir point 271 ci-dessus) » (considérant 288)
Ceci explique certainement la fermeté de la fin de non-recevoir opposée par le Gouvernement français à la Commission.
Domaguil
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