Dumping social dans le BTP (27/10/2006)
Il est passé par ici, il repassera par là….On l’avait – presque- oublié mais voilà que le grand méchant plombier polonais qui nous a fait si peur il y a un an se rappelle à notre bon souvenir par la grâce d’un rapport parlementaire consacré au BTP français dans le contexte de l’Europe élargie.
Qu’y apprend-on ? Que nombre d’entreprises étrangères se livrent à du dumping social, se riant des règles communautaires et plus particulièrement de celles posées par la directive sur le détachement des travailleurs (Directive 96/71 du 16 décembre 1996 relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services), qu’elles contournent allègrement ou dont elles exploitent les lacunes. C’est en effet dans le cadre des détachements de salariés que sont constatés les abus les plus importants (et non dans celui de prestations de services par des artisans indépendants, comme on aurait pu le croire).
La directive 96/71 encadre le recours au détachement qui permet à une entreprise d’envoyer des salariés travailler dans un autre état de l’Union européenne pour une mission spécifique, limitée dans le temps et au sein d'une équipe préconstituée. L'employeur doit adresser une déclaration préalable à l'inspection du travail. Les règles sociales du pays d'accueil sur la durée du travail, la sécurité et le salaire minimum s’appliquent au salarié détaché. Les cotisations sociales sont versées dans le pays d'origine de celui-ci.
Selon le rapport, plus de 150 000 travailleurs du bâtiment, issus d'autres pays européens (de l’Est, mais aussi d’Espagne, d’Italie, du Portugal, d’Allemagne), seraient détachés en France dans des conditions souvent contraires aux règles communautaires et à la législation sociale du pays d’accueil. Ainsi, « au moins 80 % des détachements de travailleurs ne font pas l’objet de la déclaration préalable de détachement » (p.13 du rapport). La déclaration n’est pas explicitement prévue par la directive qui laisse aux états le choix des moyens pour s’assurer du respect des règles qu’elle pose et des pays comme la France y ont recours. Son absence, relève le rapport « ouvre potentiellement la porte à tous les abus quant aux garanties protectrices que le droit communautaire reconnaît aux travailleurs détachés, en particulier en termes de salaires » puisque, par définition, l’administration ne connaît ni l’identité des personnes concernées, ni leur lieu de travail.
Pour prendre l’aspect le plus problématique, celui des salaires, les règles nationales seraient loin d’être respectées alors que la directive prévoit leur application aux travailleurs détachés. Les entreprises prestataires se livreraient à une concurrence déloyale en « cassant les prix ».
Le rapport évoque ainsi « les offres de main d’oeuvre, essentiellement polonaises, qui sont adressées à nos entreprises à un tarif de 6 ou 7 euros par heure tout compris, soit très en dessous du salaire minimum français pourtant obligatoire ». Théoriquement, celui ci doit être respecté, mais en réalité, les bulletins de salaires peuvent faire apparaître, dit le rapport « une situation parfaitement en règle » alors que la rémunération versée est inférieure, une situation qui ne sera pas dénoncée par les intéressés eux-mêmes dans la mesure où le salaire qui leur est payé sera de toute façon supérieur à ce qu’ils auraient perçu dans leur pays.
Mais si les règles sont contournées c’est qu’il n’y a pas vraiment de moyens efficaces d’en contrôler et d’en faire assurer le respect, ce que le rapport appelle les « maillons faibles du cadre juridique actuel ». Certes, la directive prévoit une « coopération en matière d’information » entre les administrations des états membres ce qui permet en théorie aux administrations des pays d’accueil et à celles des pays d’origine de communiquer afin de vérifier que les entreprises ont bien respecté leurs obligations. En pratique, cela ne fonctionne pas faute de moyens efficaces de transmission rapide des informations et quelquefois en raison de l’incurie de certaines administrations.
Pour remédier à ces problèmes, différentes mesures sont proposées dans le rapport comme la validation au niveau européen du principe de la déclaration de détachement préalable, l’accès de l’administration de l’état d’accueil aux informations nécessaires sans avoir à craindre de se voir accusée de mettre des obstacles injustifiés à la libre circulation des travailleurs, la mise en réseau des organismes européens de sécurité sociale, l’augmentation des contrôles sur les chantiers, l’obligation pour les entreprises détachées de désigner un représentant officiel, intermédiaire avec les pouvoirs publics français, l’obligation pour le donneur d’ordre d’afficher sur le chantier le nom de toutes les entreprises intervenant, quel que soit leur rang de sous-traitance, le renforcement du contrôle par les salariés (ex : comité d’entreprise) sur les conditions de sous-traitance, etc…
Autant de mesures de bon sens qui supposent non seulement une prise de conscience du problème à l’échelon européen (ce qui semble être le cas) mais une volonté de lui trouver des solutions conciliant respect de la libre circulation dans l’Union européenne et respect d’une « concurrence non faussée » en matière de conditions sociales.
Quant à la fameuse directive sur les services (ex directive Bolkestein), qui fut présentée comme la boite de Pandore d’où allaient s’échapper les maux du dumping social, des délocalisations sauvages et de la régression sociale dans la description apocalyptique qui en était faite par ses adversaires, le rapport minimise sa portée en expliquant le malentendu qui a entouré le principe du pays d’origine (p.14 à 17). Il semble que l’auteur du rapport a lu la directive services avec des lunettes moins idéologiquement teintées, ce qui lui permet d’en avoir une vision moins déformée et de situer les problèmes là où ils se trouvent et non où ils sont inventés.
14:20 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Union européenne, Europe, BTP, rapport, dumping social, directive services, directive 96/71 | Imprimer