Incertitudes sur l'avenir du service postal en Europe (24/10/2006)
Le 10 novembre 2005, la Commission a lancé une consultation publique sur les services postaux dans l’Union européenne. Plus précisément la consultation devait lui permettre de savoir si la date de 2009 prévue pour la libéralisation totale devait être maintenue. Pour cela, les particuliers et les entreprises étaient invités à faire connaître leur opinion et leurs attentes.
L’ouverture à la concurrence du secteur postal a débuté en 1997, avec la directive 97/67 (caractéristiques du service universel minimum, celui que les états doivent garantir à tous et qui correspond aux obligations de service public) et s’est poursuivie avec la directive 2002/39 (étapes de l’ouverture à la concurrence).
Sans grande surprise, la Commission vient de proposer une directive qui ouvre totalement à la concurrence les marchés des services postaux dans l’Europe communautaire d’ici 2009. A partir de cette date le monopole public constitué par le « domaine réservé », c’est-à-dire hors concurrence, sera supprimé et tout opérateur postal pourra proposer les services qui en font partie, en d’autres termes, les envois de moins de 50 grammes.
Encore faut-il savoir ce que va devenir la mission de service public. La directive 97/67 « service universel » dispose qu’une levée et une distribution de courrier au domicile doit être assurée au moins 5 jours par semaine à des prix abordables sur tout le territoire de l’Union européenne y compris dans les zones reculées, là où c’est le moins rentable. La question posée est celle du financement du service universel, qui est aujourd’hui assuré grâce au monopole.
La Commission européenne assure que les états sont parfaitement libres de choisir les modalités de financement des activités de service public, qui peuvent prendre la forme d’aides publiques, d’un fonds de compensation en faveur de l’opérateur chargé du service universel (alimenté par les opérateurs concurrents présents sur les secteurs plus rentables), d’appels d’offres pour délégation. Dans un entretien avec le journal le Monde, le Président de la Poste, M. Bailly explique pour sa part sa préférence pour un dispositif « de "pay or play", dans lequel "les nouveaux entrants sur un marché prennent en charge une partie des missions de service public proportionnée à leur capacité de financement et leur taille, sinon contribuent à un fonds ».
L’union faisant la force, dix opérateurs postaux (belge, chypriote, français, grec, italien, hongrois, luxembourgeois, maltais, polonais et espagnol) ont publié un communiqué dans lequel ils expriment leur « inquiétude » sur « l'absence de réponses concrètes de la part de la Commission européenne sur le futur financement du service universel postal » et demandent le rejet de la proposition de la Commission.
Selon eux, les mesures envisagées pour le financement n’ont fait l'objet d'aucun test économique ou opérationnel démontrant leur efficacité et n'apportent pas la « sécurité juridique suffisante ». De ce fait, la suppression du secteur réservé, « le seul mode de financement qui, à ce jour, a montré son efficacité » est prématurée tant qu’aucune solution de substitution convaincante pour assurer le service public n’est pas démontrée.
Mais comme souvent dans la si diverse Europe communautaire, d’autres pays ont un point de vue différent et la Commission peut compter sur le soutien des postes britannique, néerlandaise, suédoise, finlandaise et allemande qui appuient la libéralisation totale.
C’est à présent au Conseil et au Parlement européen de trancher, l’adoption de la proposition de directive se faisant selon la procédure de codécision et sachant qu’il n’y pas d’obligation d’ouverture à la concurrence en 2009 puisque l’article 1-3 de la directive 2002/39 dispose « La Commission procède à une étude prospective destinée à évaluer, pour chaque État membre, l'impact sur le service universel de l'achèvement du marché intérieur des services postaux en 2009. Sur la base des conclusions de cette étude, la Commission présente, avant le 31 décembre 2006, un rapport au Parlement européen et au Conseil, assorti d'une proposition confirmant, le cas échéant, la date de 2009 pour l'achèvement du marché intérieur des services postaux ou définissant toute autre étape à la lumière des conclusions de l'étude."
Il reste à remarquer que les utilisateurs de la poste n’ont pas saisi la possibilité qui leur était donnée de se faire entendre. Dans leur communiqué, les opérateurs postaux demandent « sur quels avis la Commission se fonde pour proposer une totale libéralisation du marché en 2009 ». « Il est certain », affirment-ils, « que ni les citoyens, ni les travailleurs, ni la majorité des opérateurs postaux nationaux ne l'appellent de leurs vœux puisque tous souhaitent une réglementation différente ». Ah vraiment ? Mais combien ont participé à la consultation au juste? Selon le rapport final de la Commission à la suite de la consultation publique , 2095 réponses de particuliers lui sont parvenues, et 200 d’entreprises. Sur les 2095 réponses de particuliers, 230 émanent de français. Même désintérêt de la part des associations françaises de défense de consommateurs ou d'usagers. La participation est dérisoire, rapportée au nombre d’internautes français qui ont accès, pour peu qu’il s’en donnent la peine, à toutes les informations sur l’Union européenne. Mais cela n’empêchera certainement pas ceux dont l'anti européanisme est le fonds de commerce de dénoncer une décision arbitraire de la Commission sur l’air du « on ne tient pas compte des attentes du peuple ».
Domaguil
11:25 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Union européenne, Europe, La Poste, concurrence, service public, quoi de neuf en europe | Imprimer
Commentaires
Bonjour,
J'interviens juste par rapport au très faible taux de participation au questionnaire que l'on ne peut que déplorer. Je fais partie des 230 français qui y ont répondu. Et c’est vrai que je suis très surpris du chiffre.
Mais il n'y a qu'à partir de votre blog que j'ai eu accès à cette information : aucun quotidien de langue française présent sur le web (sauf un journal belge) s'est fait écho de la possibilité de donner son avis sur l'action de la commission. (A l’époque, une recherche sur 3 moteurs de recherche me l’ont confirmé).
Y a t'il eu un quelconque avis dans les medias (presse écrite, télévision, radio) ? Je suis à peu près sur que rien n'a été fait dans ce sens, en tout cas, je suis passé à coté. Même le site de la Poste n'en n'a pas fait écho.
Contrairement à ce que vous dites, glaner cette information, répondre au questionnaire n’est pas si naturel ; c’est une démarche active et qui n’est relayé par aucun media d’importance. Si on voulait quelques millions d’avis par Etats membres, c’est dans une campagne télévisée qu’il investir.
Ensuite, bien sûr, il est aisé de reprocher au citoyen lamba son manque de participation facilement identifiable (si on le souhaite …) à un désintérêt total de l’union, donc à un anti européanisme naturel et (allons donc !) viscéral.
Et en face, l’autre camp aura le champ libre pour fustiger une Europe loin des citoyens et qui jouerait contre eux.
Bizarrement, j’ai plus l’impression que ce sont les sociétés toutes entières qui sont loin de l’UE : sociétés civiles, associations, partis politiques, syndicats…
Le problème me paraît beaucoup plus profond qu’un simple désintérêt et n’est certainement pas localisé en France et imputable aux seuls français-qui-ont-voté-non-au-référendum : 2.095 avis recueillis pour 400 millions d’habitants…
Je vous remercie en tout cas de maintenir un tel niveau d’information accessible à tous par votre blog et je vous lit toujours avec plaisir.
Cordialement,
Écrit par : 26 | 26/10/2006
A 26
Merci pour votre fidélité :-)
Je n’ai pas exactement écrit que glaner cette information et répondre au questionnaire soit naturel. J’ai écrit que les internautes pour peu qu’ils s’en donnent la peine ont accès à une foule d’infos sur l’UE, ceci pour répondre à l’objection que l’on entend souvent sur le manque d’information. Encore une fois ce n’est pas le cas pour l’UE : information officielle et non officielle abondent. Après, évidemment, il faut savoir l’utiliser et faire un tri. Mais c’est un problème général. Effectivement, nous sommes confrontés à un déferlement d’information et le problème n’est plus celui de l’accès (pour ceux qui ont internet, ce qui n’est pas le cas de tout le monde) mais de l’esprit critique et de la capacité à faire un tri. Dans l’idéal, il faudrait que nous soyons tous multiplement experts (en droit, en économie, en finance, en physique, en biologie, etc…) ce qui est évidemment impossible. D’où l’obligation de passer par les analyses de ceux qui ont une expertise. Le problème c’est que plus on s éloigne de la source d’une information plus on risque de se faire abuser.
Quant au désintérêt pour l’Europe, effectivement il serait injuste de l'imputer à ceux qui ont voté non et je ne l'ai pas fait.
Mais je maintiens que ce désintérêt ouvre un boulevard à tous les europhobes qui peuvent raconter n’importe quoi.
Par exemple, sur la question de la libéralisation de la Poste :
L’Humanité, 19-10-06 éditorial de Jean Paul Pierrot : Les craintes du commissaire
http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-10-19/2006-10-19-838916
Extrait:
"La Commission européenne vient d’en faire hier une nouvelle démonstration : en s’attaquant aux services publics, elle dégrade le service rendu au public. Les propositions de Charlie Mac Greevy, commissaire chargé du Marché intérieur, qui visent à parachever la libéralisation complète des services postaux à partir de janvier 2009, se traduiront au mieux, avouent leurs auteurs, par la distribution des lettres aux particuliers « cinq jours par semaine » à un « prix abordable ».
Quel progrès pour un pays comme la France où le facteur passe six jours sur sept et où le « monopole », tant vilipendé par les ultralibéraux, garantit un prix du timbre unique à tous les habitants quel que soit leur lieu de résidence ! Ce que chacun de nous considérait depuis si longtemps comme un élément de la vie quotidienne, comme une évidence, n’entre pas dans les critères du « service universel » des dirigeants européens".
JP Pierrot fait croire, par une présentation biaisée, que la réglementation communautaire (directive de 1997 service postal universel) impose de passer à 5 jours par semaine pour la levée du courrier et la distribution (donc fixe un plafond) alors qu’elle fixe au contraire un seuil en deça duquel aucun état ne peut descendre: distribution et levée pas moins de moins 5 jours par semaine (et non pas : au plus). Donc, ce peut être 6, mais pas 4. Idem pour le prix abordable dont JP Pierrot conclut, sur la base d'informations connues de lui seul, qu'il signe la fin du prix unique. Voilà comment procèdent les anti européens que je dénonce : par déformation, voire par trucage de l'info.
Taper sur l’Europe est, comme je l'ai écrit, le fonds de commerce des souverainistes de droite (Le Pen, Dupont Aignan, de Villiers) de gauche (Chevènement, Cassen - Monde diplo et Attac-, Jennar –URFIG-…) , des internationalistes (Besancenot)... Donc, ils ne vont pas scier la branche sur laquelle ils sont installés en donnant des infos qui pourraient laisser supposer que l’Europe n’est pas ce monstre anti démocratique et ultra libéral qu’ils dénoncent sans nuances.
Attac, qui s’est pourtant donné la noble mission d’"éduquer" le peuple a-t-elle parlé de la consultation sur la libéralisation de la Poste? A-t-elle cherché à mobiliser ? Et l’Huma ? Et l’URFIG ? Et la CGT ? Et SUD ? etc….Peu importe : cela ne les empêchera de jeter de grands cris et de hurler à la disparition du service public en faisant le cirque habituel.
Écrit par : Domaguil | 27/10/2006
Bonjour,
Il est vrai que l'ouverture à la concurrence du secteur postal est un sujet qui entraine beaucoup de débats. Il est donc également vrai que cela devrai concerner tout le monde. Il est donc en effet regrettable que cette consultation publique soit passée plutôt inaperçue.
Écrit par : N.RULLIERE | 19/11/2006