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La Poste

  • Union européenne et privatisation des établissements publics

    Dans des notes précédentes (voir le thème : Concurrence/ Service public),  j’expliquais comment certaines aides d’Etat  accordées à des entreprises ou des organismes publics peuvent être incompatibles avec les règles du droit communautaire de la concurrence et supprimées. Faut-il en conclure, comme on l’entend souvent, que le droit communautaire suppose la libéralisation tous azimuts et le démantèlement du secteur public auquel nous sommes en France très attachés ? Mardi 13, France inter consacrait l’émission matinale « service public » à la libéralisation de la Poste. Si les intervenants ont précisé à plusieurs reprises que libéralisation et privatisation étaient des notions différentes, les appels de certains auditeurs montraient que la confusion est encore réelle sur cette question et sur les responsabilités respectives des états et de l’Union européenne.

     

    Pour tenter de comprendre, retour donc sur une affaire emblématique et exemplaire, celle de la transformation du statut d’EDF d’EPIC en société anonyme détenue majoritairement par l’Etat. Les arguments mis en avant par le Gouvernement pour justifier ce changement de statut sont assez révélateurs des divergences  entre les autorités françaises et la Commission européenne, divergences souvent entretenues par opportunisme politique.  Selon le Gouvernement, le changement juridique de statut d’EDF était inévitable pour satisfaire aux « exigences » de Bruxelles (pour reprendre une formule éculée) car, la garantie illimitée étant intrinsèquement liée au statut d’EPIC, demander sa suppression comme le faisait la Commission, équivalait à demander la fin de ce statut.

     

     

    Le problème, c’est que le commissaire européen alors chargé de la concurrence, M.Monti, bien placé pour savoir de quoi il parlait en sa qualité de gardien des tables de la loi européenne, avait une toute autre analyse. Ainsi qu’il l’expliquait aux députés français le 10 juin 2003, l’octroi d’une garantie de l’Etat ne posait pas de problèmes de principe, puisque seul était en cause son caractère illimité. Interrogé sur la nécessité de changer le statut alléguée par le gouvernement, M.Monti se livrait à une petite leçon de droit communautaire en soulignant que le statut public ou privé des entreprises est une question qui relève de la compétence du législateur national et non du droit communautaire : « L'article 295 du Traité C.E. » disait-il «  précise clairement que le Traité ne préjuge en rien du régime de la propriété des entreprises dans les Etats membres. Il n'appartient donc pas à la Commission de demander la privatisation des entreprises ou, inversement, leur nationalisation. La décision de privatiser une entreprise relève de la seule responsabilité des Etats membres ». Un an plus tard, il tenait devant les sénateurs, cette fois, des propos encore plus explicites : « la transformation du statut d'EDF, telle qu'elle est prévue par le projet de loi, va au-delà des exigences de la Commission européenne et [qu'] elle répond au libre choix du gouvernement français. Bien évidemment, la Commission européenne ne critique pas ce choix. Mais il faut être conscient qu'elle ne l'impose pas non plus ». Et pour preuve, il rappelait que la suppression en 2002 de la garantie dont bénéficiaient des banques publiques allemandes n’avait pas conduit à modifier leur statut public.

     

    Conclusion qui s’impose à la lecture de ces propos : invoquer la suppression de la garantie illimitée pour justifier une transformation d’EDF en société anonyme relevait au minimum d’une confusion, au pire d’une manipulation du Gouvernement français pressé de faire endosser à l’Union européenne la responsabilité d’un choix qu’il n’assumait pas. La CGT, hostile à ce choix,  ne s’y était pas trompée. Dans une déclaration du 21 juin 2004, son secrétaire général Bernard Thibaut se fondait sur les propos du commissaire Monti pour proposer  une solution « euro compatible »  qui permettait également à EDF et GDF de conserver leur statut d’établissements publics : il suffisait qu’ils rémunèrent l’Etat en contrepartie de la garantie qu’il  leur accordait de manière à ce qu’il n’y ait plus de distorsion de concurrence.

    On le sait, une autre conception a prévalu.

    Mais quelles que soient les raisons qui ont motivé le changement de forme juridique, manifestement, elles avaient en définitive peu à voir avec le droit communautaire qui avait joué  le rôle d’un écran de fumée. C’est ainsi que le cas EDF est devenu exemplaire de la confusion entretenue sur la portée  des décisions de l’Union européenne dans notre vie quotidienne. Parions que ce n’est pas le dernier, ce qui nous ramène au débat actuel sur la Poste. Et, une fois n’est pas coutume je renverrai à un média, à savoir l’émission citée au début de la note qui traitait plutôt bien du sujet: France inter, Service public, émission du 13 mars,   « Les Services Publics en Europe…Faut-il s’inspirer de nos voisins ? : la Poste ».

    Domaguil

      
  • Incertitudes sur l'avenir du service postal en Europe

    Le 10 novembre 2005, la Commission  a lancé une consultation publique sur les services postaux dans l’Union européenne. Plus précisément la consultation devait lui permettre de savoir si la date de 2009 prévue pour la libéralisation totale devait être maintenue. Pour cela, les particuliers et les entreprises étaient invités à faire connaître leur opinion et leurs attentes.

     

     

    L’ouverture à la concurrence du secteur postal a débuté en 1997, avec la directive 97/67 (caractéristiques du service universel minimum, celui que les états doivent garantir à tous et qui correspond aux obligations de service public) et s’est poursuivie avec la directive 2002/39 (étapes de l’ouverture à la concurrence).

     

     

    Sans grande surprise, la Commission vient de proposer une directive qui ouvre totalement à la concurrence les marchés des services postaux dans l’Europe communautaire d’ici 2009.  A partir de cette date le monopole public constitué par le « domaine réservé », c’est-à-dire hors concurrence, sera supprimé et tout opérateur postal pourra proposer les services qui en font partie, en d’autres termes, les envois de moins de 50 grammes.

    Encore faut-il savoir ce que va devenir la mission de service public. La directive 97/67 « service universel » dispose qu’une levée et une distribution de courrier au domicile doit être assurée au moins 5 jours par semaine à des prix abordables sur tout le territoire de l’Union européenne y compris dans les zones reculées,  là où c’est le moins rentable. La question posée est celle du financement du service universel, qui est aujourd’hui assuré grâce au monopole.

     

     

    La Commission européenne assure que les états sont parfaitement libres de choisir les modalités de financement des activités de service public, qui peuvent prendre la forme d’aides publiques, d’un fonds de compensation en faveur de l’opérateur chargé du service universel (alimenté par les opérateurs concurrents présents sur  les secteurs plus rentables), d’appels d’offres pour délégation. Dans un entretien avec le journal le Monde, le Président de la Poste, M. Bailly explique pour sa part sa préférence pour un dispositif « de "pay or play", dans lequel "les nouveaux entrants sur un marché prennent en charge une partie des  missions de service public proportionnée à leur capacité de financement et leur taille, sinon contribuent à un fonds ».

     

     

    L’union faisant la force, dix opérateurs postaux (belge, chypriote, français, grec, italien, hongrois, luxembourgeois, maltais, polonais et espagnol) ont publié un communiqué dans lequel ils expriment leur « inquiétude » sur « l'absence de réponses concrètes de la part de la Commission européenne sur le futur financement du service universel postal » et demandent le rejet de la proposition de la Commission.

     

     

    Selon eux, les mesures envisagées pour le financement n’ont fait l'objet d'aucun test économique ou opérationnel démontrant leur efficacité et n'apportent pas la  « sécurité juridique suffisante ». De ce fait, la suppression du secteur réservé, « le seul mode de financement qui, à ce jour, a montré son efficacité » est prématurée tant qu’aucune solution de substitution convaincante pour assurer le service public n’est pas démontrée.

     

     

    Mais comme souvent dans la si diverse Europe communautaire, d’autres pays ont un point de vue différent et la Commission peut compter sur le soutien des postes britannique, néerlandaise, suédoise, finlandaise et allemande qui appuient la libéralisation totale.

     

     

    C’est à présent au Conseil et au Parlement européen de trancher, l’adoption de la proposition de directive se faisant selon la procédure de codécision et sachant qu’il n’y pas d’obligation d’ouverture à la concurrence en 2009 puisque l’article 1-3 de la directive 2002/39 dispose « La Commission procède à une étude prospective destinée à évaluer, pour chaque État membre, l'impact sur le service universel de l'achèvement du marché intérieur des services postaux en 2009. Sur la base des conclusions de cette étude, la Commission présente, avant le 31 décembre 2006, un rapport au Parlement européen et au Conseil, assorti d'une proposition confirmant, le cas échéant, la date de 2009 pour l'achèvement du marché intérieur des services postaux ou définissant toute autre étape à la lumière des conclusions de l'étude."

     

     

    Il reste à remarquer que les utilisateurs de la poste n’ont pas saisi la possibilité qui leur était donnée de se faire entendre. Dans leur communiqué, les opérateurs postaux demandent « sur quels avis la Commission se fonde pour  proposer une totale libéralisation du marché en 2009 ». « Il est certain », affirment-ils,  « que ni les citoyens, ni les travailleurs, ni la majorité des opérateurs postaux nationaux ne l'appellent de leurs vœux puisque tous souhaitent une réglementation différente ». Ah vraiment ? Mais combien ont participé à la consultation au juste? Selon le rapport final de la Commission à la suite de la consultation publique , 2095 réponses de particuliers lui sont parvenues, et 200 d’entreprises. Sur les 2095 réponses de particuliers,  230 émanent de français. Même désintérêt de la part des associations françaises de défense de consommateurs ou d'usagers. La participation est dérisoire, rapportée au nombre d’internautes français qui ont accès, pour peu qu’il s’en donnent la peine, à toutes les informations sur l’Union européenne. Mais cela n’empêchera certainement pas ceux dont l'anti européanisme est le fonds de commerce de dénoncer une décision arbitraire de la Commission sur l’air du « on ne tient pas compte des attentes du peuple ».

     

    Domaguil

     

  • La Poste confrontée au droit communautaire de la concurrence

    Après avoir donné, en décembre dernier,  son aval à la création de la Banque postale, filiale financière de la Poste, la Commission européenne s’était empressée de préciser que cette approbation ne couvrait pas  le droit spécial détenu par la Poste de distribuer le livret A (compte d’épargne dont les intérêts sont exonérés d’impôt),  ni la garantie illimitée de l'Etat dont elle bénéficie ni, enfin, les régimes sociaux des personnels de La Poste mis à disposition de la Banque Postale. Tous ces points devaient faire l’objet d’un examen approfondi afin de vérifier s’ils sont compatibles avec les règles du droit communautaire de la concurrence. Il faut dire que la Commission européenne est assaillie de plaintes des banques françaises qui dénoncent les avantages dont bénéficie la Banque Postale au motif qu’ils faussent  la concurrence entre établissements bancaires en Europe. Et, comme par ailleurs, la Commission n’est pas précisément une adepte de l’interventionnisme étatique, lui préférant la libéralisation la plus large possible des activités économiques, elle a commencé des enquêtes qui promettent quelques soucis à la Banque postale et à La Poste.

    Premier dans le collimateur :  le livret A qui fait depuis le 7 juin 2006 l’objet d’une enquête.  

    Deuxième sur la liste: la garantie illimitée, dont la Commission européenne recommande la disparition avant la fin 2008 dans un communiqué du 4 octobre 2006.

    Ce qui signifie qu’une procédure d’enquête, et d’infraction, pourrait être ensuite lancée si aucun accord n’était trouvé avec le gouvernement français.

    Le problème, récurrent, est celui de la compatibilité des établissements publics français avec les règles communautaires du droit de la concurrence. Les établissements publics sont présents dans différents secteurs d’activité. Ce sont des structures chargées de remplir une mission d’intérêt général, dotées d’une certaine autonomie financière et administrative et soumises à la tutelle de l’Etat. Certains, les Etablissement publics industriels et commerciaux (EPIC) se trouvent du fait de leur domaine d’activité en concurrence avec des entreprises privées, mais, et c’est là que le bât blesse aux yeux de la Commission, avec des privilèges associés à leur statut de droit public. Ils ne sont pas tenus aux règles applicables aux entreprises privées en cas de faillite ou d'insolvabilité et l’Etat est le garant en dernier ressort de leurs dettes (la fameuse garantie illimitée qui chagrine tant la Commission). 

    Or l’article 87 du Traité instituant les Communautés européennes dispose que « sauf dérogation prévue au présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». Les aides d'Etat doivent donc passer sous les fourches caudines de la Commission qui s’assure qu’elles ne constituent pas un avantage compétitif et qu’elle respectent les règles posées par la directive 80/723 du 25 juin 1980 sur la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques, et par la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes.

    Cependant, toutes  les aides d’Etat ne sont pas forcément jugées incompatibles avec le droit communautaire. Celles qui sont destinées à des entreprises chargées de la gestion d'un service d'intérêt économique général sont autorisées (article 86 alinéa 2  du traité instituant la Communauté européenne) , si elles permettent l'accomplissement de cette mission particulière et qu'elles sont exclusivement consacrées à compenser les surcoûts qui en résultent. Ce qui a conduit notamment  la Commission à admettre, dans une décision confirmée ensuite  par la Cour de Justice des Communautés Européennes (ordonnance du 25 mars 1998, aff. C-174/97 FFSA c. Commission), que les allègements fiscaux dont bénéficiait La Poste étaient conformes au droit communautaire car ils n'allaient pas au-delà de ce qui était strictement nécessaire pour permettre d'assurer le service d'intérêt général qui lui était confié.

    La question est de savoir si elle appliquerait le même raisonnement à la garantie illimitée. Un rappel de décisions récentes de la Commission peut donner des éléments de réponse. En 2002, elle a demandé et obtenu la suppression de la garantie illimitée dont bénéficiait EDF  (qui était encore un EPIC à l’époque). Un an avant, elle s’était attaquée, également avec succès,  au système de garantie illimitée dont bénéficiaient les banques publiques  allemandes de la part de l’Etat fédéral et des Länder.  Dans les deux cas, l’analyse de la Commission était  identique: une garantie qui n’est limitée ni dans le temps ni quant à son montant est une aide d’Etat illégale au sens de l’article 87 , car  elle mobilise des ressources publiques, elle favorise certains groupes d'entreprises en leur permettant d’obtenir des crédits dans des conditions plus favorables (en empruntant à des taux préférentiels), elle fausse donc la concurrence et affecte les échanges communautaires.

    Par exemple, s’agissant de la garantie illimitée dont bénéficiait EDF, la Commission avait estimé qu’elle était disproportionnée car trop générale (elle couvrait toutes les activités d’EDF, c’est-à-dire également celles exercées sur des marchés ouverts à la concurrence, alors qu’elle aurait du être limitée aux activités relevant de la mission de service public) et d’être illimitée dans le temps (voir par exemple le Bulletin de l’Union européenne, 10-2002, point 1.3.52).

    Il faut donc conclure de cette explication qu’une garantie d’Etat n’ayant pas ces caractères serait jugée conforme au droit communautaire de la concurrence.

     Domaguil