L’Union européenne trouve une « doctrine » commune face à la crise financière
C’est souvent le cas. Dans un contexte d’approbation générale, il se trouve toujours des « âmes chagrines » pour instiller leurs doutes et ce qui était loué hier, est aujourd’hui critiqué.
Prenons le « mini sommet » qui s’est tenu à l’Elysée, le 04/10/2008, à l’initiative de la Présidence française de l'Union européenne. Ce sommet, qualifié de « mini » car réunissant les quatre chefs d’état et de gouvernement de l’Italie, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de la France (soit les quatre membres européens du G8) ainsi que le Président de l’Eurogroupe, ceux de la Commission européenne et de la Banque Centrale Européenne, a présenté des mesures pour faire face à la crise financière. Les résultats du Sommet ont d’abord été commentés avec bienveillance dans la plupart des medias. Mais dès le lendemain, les « bémols » se sont fait plus nombreux (la nuit portant conseil et incitant à la réflexion ?). De telle sorte que certains évoquent désormais une riposte limitée insistant (justement) sur le fait qu’il reste à convaincre les 23 autres pays membres de l’Union européenne, et à surmonter les divergences d’interprétation qui déjà s’exprimaient à l’issue du Sommet sur le caractère contraignant du Pacte de stabilité dont le Président de l’Eurogroupe et celui de la Commission européenne soulignaient qu’il devait être intégralement respecté.
Alors, où en est-on ?
L’accord réalisé lors du Sommet s’articule autour de cinq points principaux :
Le soutien au secteur bancaire et le rétablissement de la confiance
Les commentateurs, « experts », gouvernants, auxquels on pourrait ajouter nombre de clients inquiets pour leur épargne, sont pratiquement unanimes : il s’agit de la priorité des priorités. L’enjeu est de trouver une réponse européenne commune au lieu de laisser prévaloir le « chacun pour soi » doit l’Irlande a donné l’exemple. Celle-ci a fait cavalier seul en décidant de garantir les banques irlandaises avec, pour conséquence, un afflux de dépôts de clients d’autres banques européennes (anglaises en particulier), qui sont alors fragilisées. C’est pour éviter ce risque que l’ « engagement solennel » a été pris au sommet d’hier de soutenir les établissements financiers européens en difficulté. Il ne s’agit pas d’un plan de sauvetage massif (pas de création d’un fonds européen de soutien), mais d’une sorte de « doctrine » commune pour reprendre le terme du Président français: chaque pays fera selon sa méthode et ses moyens propres mais agira de façon coordonnée avec ses partenaires.
Afin de faire cesser les pratiques jugées responsables de la crise financière, la Commission européenne a présenté le 01/10 une proposition de révision des règles communautaires sur les fonds propres des banques pour les rendre plus strictes. Les banques qui commercialisent des produits financiers couverts par un ensemble de crédits hypothécaires présentant des degrés de risque variables (ce que l’on appelle la « titrisation ») devront supporter une partie des risques. Les investisseurs devront pour leur part s’assurer que la valeur des produits qu'ils achètent correspond à celle annoncée, faute de quoi ils seront « fortement » pénalisés. Des autorités de surveillance pour les banques qui exercent leurs activités dans plusieurs pays seront mises en place. Le volume des prêts et des placements entre les banques sera limité. Enfin, la proposition prévoit de changer les modalités de calcul des fonds propres d'une banque. Notamment des critères communs dans toute l’Union européenne seront définis afin de déterminer dans quelle mesure les instruments financiers qui présentent à la fois des caractéristiques des actions et des obligations, seront éligibles en tant que fonds propres, qui déterminent le montant des prêts qu’une banque peut attribuer.
La Commission européenne a également annoncé qu’elle présenterait prochainement une proposition de révision de la directive 94/19 sur les systèmes de garantie des dépôts qui, actuellement, prévoit que dépôts bancaires dans l’Union Européenne sont garantis au minimum à hauteur de 20000 euros (chaque état membres restant libre d’adopter un niveau de garantie plus élevé) (3). La Commission pourrait proposer d’accélérer les délais de paiement et de modifier le niveau de la couverture, voire de l’harmoniser.
La sanction des dirigeants qui ont failli
En cas de soutien public à une banque en difficulté, chaque Etat membre s'engage à ce que les dirigeants qui ont failli soient sanctionnés et à ce que les actionnaires supportent également les charges de l’intervention.
L’assouplissement des règles communautaires en matière d’aides d’Etat
Plusieurs banques dans différents pays européens ont du être renflouées avec l’argent public, voire nationalisées. Or le droit communautaire prohibe, avec des exceptions cependant, les aides publiques aux entreprises car elles faussent la concurrence (articles 87 à 89 du traité sur la Communauté Européenne). C’est pourquoi les chefs d’Etat et de Gouvernement réunis à Paris ont demandé que la Commission européenne applique moins strictement les règles en matière d’aides d’Etat ainsi que les règles du marché unique lorsque des circonstances exceptionnelles comme actuellement, le justifient.
L'assouplissement de l’application du Pacte de stabilité et de croissance
De la même façon, l’application des règles du Pacte de stabilité (et plus particulièrement les fameux critères de convergence, souvent appelés critères de Maastricht) devra refléter les « circonstances exceptionnelles » actuelles. Concrètement, par exemple, les pays qui laisseraient leurs déficits dépasser la barre des 3% du PIB ne seraient plus forcément exposés à la procédure pour déficits excessifs et menacés de sanctions. Mais il n’y a rien de bien nouveau dans cette mesure : une réforme de l’application du pacte de stabilité afin de l’adapter à la conjoncture économique est déjà intervenue il y a quelques années. Les propos de MM Junker et Barroso selon lesquels le pacte « doit être respecté dans son intégralité » doivent donc être interprétés à la lumière de cette réforme. Il s'agit de mettre en œuvre idée qui semble de bon sens, selon laquelle en période de récession il est illusoire et contre productif d'appliquer des mesures de rigueur telles que la baisse des dépenses publiques. En revanche, les périodes de prospérité doivent être mises à profit pour assainir les finances publiques.
La tenue d’une réunion internationale sur la refondation du système financier mondial
Le Sommet a également décidé de promouvoir une conférence internationale afin de revoir les bases du système financier. Les principes directeurs de cette refondation seraient :
- la régulation et surveillance de tous les acteurs des marchés financiers, c’est à dire non seulement les banques commerciales mais aussi les agences de notation, les banques d’investissement, les hedge funds
- la révision des normes comptables et prudentielles pour éviter la formation de « bulles spéculatives » quand la situation est bonne et de crises de liquidités quand la conjoncture se dégrade
- la réforme des mécanisme de contrôle des opérateurs du marché afin de lutter contre les prises de risques excessives dans la recherche d’un profit à court terme
- le renforcement du contrôle politique sur les institutions internationales chargées de réguler le marché et de fixer les normes comptables et prudentielles
- en cas de crise, la mise en place d’une task force réunissant surperviseurs, banques centrales et ministères des finances.
Et après le Sommet ?
Au menu des prochaines réunions des ministres européens figurent les propositions de la Commission européenne sur les fonds propres des banques. La rémunération des dirigeants pourrait être aussi débattue, en raison des critiques qui se multiplient sur les « parachutes dorés ». Sera également discuté, a affirmé le Premier Ministre anglais à l’issue du Sommet de Paris l’octroi par la Banque Européenne d’Investissement (BEI) d’une enveloppe de 31,5 milliards d'euros à destination des PME.
Quant au loyer de l’argent il reste pour le moment inchangé, ainsi que l’a indiqué le Président de la BCE, Jean Claude Trichet le 02/10/2008. Certains mettent en cause la très honnie BCE qui s’entête à ne pas vouloir baisser les taux d’intérêt ce qui « plombe » les ressources propres des banques déjà bien mal en point à qu’il paraît. Un discours bien rôdé qui oublie un peut trop souvent à mon gré de signaler la responsabilité d’origine qui est tout de même... celle des banques! Mais, pour un souverainiste bon teint, tout est bon pour alimenter le combat contre l’Union européenne, foin des scrupules. Comme la remise en cause des statuts de la BCE n’est pas à l’ordre du jour, il faut donc se borner à d’ « amicales » pressions – de moins en moins amicales, en fait - sur l’obstinée qui pour l’heure n’a toujours pas annoncé de baisse des taux. A la décharge de la BCE, rappelons tout de même qu’elle ne fait qu’appliquer les missions que lui assignent les statuts dont les états l’ont dotée et aux termes desquels la lutte contre l’inflation est sa priorité, et qu’elle est intervenue à plusieurs reprises ces derniers mois pour alimenter le marché en liquidités.
Enfin, il reste à convaincre les 23 autres états de l’Union européenne d’adhérer à la « doctrine » commune. En attendant, chacun s’efforce comme il peut de colmater des brèches de plus en plus visibles et béantes. Encore ce week-end, l’Allemagne a du intervenir en catastrophe pour soutenir la banque immobilière Hypo Real Estate (HRE) et garantir les dépôts afin de rassurer les épargnants. L’Autriche lui a emboîté le pas. ainsi que le Danemark.
Ces déboires en cascade peuvent-ils persuader nos « éminences » de la nécessité d’une action solidaire ? Rendez-vous aux prochaines réunions du Conseil de l’Union européenne dans les jours à venir (Conseil affaires économiques et financières des ministres de la zone euro le 06/10, des 27 le 07/10 et Conseil européen des 15 et 16 octobre 2008).