Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L'escabeau et le pipeau

 

 Figurez-vous qu'en parcourant les infos vendredi dernier, je tombe sur une nouvelle bizarre: l'Europe (comprenez: l'Union européenne) a décidé de priver les jeunes de moins de 18 ans d'escabeau de crainte qu'ils n'en tombent. Certes, il assez peu fréquent qu'un jeune se promène muni d'escabeau, celui-ci s'avérant en général moins utile que le smartphone, mais tout de même il est des circonstances où il est nécessaire. Ainsi, lors de la cueillette de fruits.

D'où l'émotion des arboriculteurs qui vont se trouver à court de main-d'oeuve pour ramasser les récoltes s'ils ne peuvent plus percher leurs jeunes travailleurs saisonniers sur lesdits escabeaux, ce qui, soit dit en passant, pourrait aussi constituer une discrimination à l'embauche au détriment des "personnes à la verticalité réduite" :-)

Ceci est la conséquence de l'entrée en vigueur d'un nouveau décret gouvernemental qui est lui-même la transposition en droit français d'une directive communautaire nous ont expliqué radios et journaux. Et la rengaine anti européenne de se faire entendre: "on est au royaume d'Ubu...de quoi se mêle l'Europe?" se lamentent les uns sur RMC, radio il est vrai peu fiable (les grandes gueules, 14/03/2014 ), "des jeunes interdits d'escabeau: les professionnels inquiets" titre france info, tandis que charente libre s'indigne qu'une directive interdise tout travail en hauteur pour les mineurs de 16 à 18 ans . Dans un éditorial, Jacques Camus fait mine de s'attrister que l'Union européenne fasse tout pour se faire mal aimer: "Admettons qu'il ne soit pas forcément très opportun de railler l'Europe en ce moment. Surtout à un peu plus de deux mois d'élections où l'euroscepticisme risque de se traduire par une abstention massive. Il faudrait donc défendre l'Europe, si nécessaire à la préservation d'un idéal de paix et à la construction d'un grand ensemble économique et social. Seulement voilà, l'Union européenne n'est pas toujours là où on l'attend. .. Et voilà qu'on ne parle que de la directive « anti-escabeau » interdisant aux jeunes de 16 à 18 ans de travailler en hauteur chez les arboriculteurs".

Moi ce que je comprends c'est qu'en pleine crise ukrainienne, en plein marasme économique, et à deux mois des élections européennes, les institutions de Bruxelles préfèrent s'intéresser à la hauteur des escabeaux. Allez reprocher ensuite aux gens de ne pas roucouler d'amour pour l'Union européenne.

Sauf que...Il y a tout de même un détail qui me chagrine: on nous parle d'un décret, d'une directive, mais quel décret, quelle directive? Aucun des journalistes ne nous le précise. Un soupçon me vient : ils sont quand même sensés avoir vérifié leurs sources, non? Faute de quoi ils ne sont rien d'autre que des scribouillards colporteurs de rumeurs (et dans ce cas je ne vois pas pourquoi mon voisin Robert qui connait tout de la vie du quartier et invente quand il ne sait pas ne pourrait pas obtenir la carte de journaliste, lui aussi).

Pourtant, après de longues (dix minutes) et difficiles recherches sur internet (deux sites visités), il s'avère:

1- que la directive si contestée a pour but de préserver la santé et la sécurité des jeunes de 16 à 18 ans qui travaillent en interdisant les travaux dangereux et en limitant les heures de travail (directive 94/33 du 22 juin 1994 relative à la protection des jeunes au travail ) et ... qu'elle ne dit rien sur le travail sur escabeau ni même en hauteur (tout au plus évoque-t-elle des "travaux comportant le risque d'effondrement", ce qui laisse une grande marge d'interprétation).

2 – que l'interdiction résulte d'une initiative qui n'est pas européenne mais bien nationale puisque c'est le gouvernement français qui l'a décidée dans un décret du 11 octobre 2013 (Décret n° 2013-915 du 11 octobre 2013 relatif aux travaux interdits et réglementés pour les jeunes âgés de moins de dix-huit ans qui interdit les travaux temporaires en hauteur pour les mineurs et insère cette interdiction dans le code du travail, à l'article D. 4153-30 : "Il est interdit, en milieu professionnel, d'affecter les jeunes à des travaux temporaires en hauteur lorsque la prévention du risque de chute de hauteur n'est pas assurée par des mesures de protection collective").

La directive laisse en effet les pays libres du choix des mesures à prendre pour remplir les objectifs qu'elle énonce. Et voila donc comment ce sont des technocrates bien tricolores qui ont privé d'escabeaux les pauvres jeunes candidats à la cueillette.

Tout n'est pas perdu pour eux et leurs employeurs: la directive précise que les mesures doivent être proportionnées au but poursuivi. Il est douteux que ce soit le cas en l'occurrence.

Quant aux journalistes joueurs de pipeau, peut-être faudrait-il qu'ils envisagent une petite session de formation à la recherche sur internet?.

Domaguil

 

Les commentaires sont fermés.