Les petits déposants ponctionnés pour assainir les finances de Chypre
Cela fait tellement de bruit que les ministres européens de l'eurogroupe vont peut-être revoir leur copie.
De quoi s'agit-il? De l'accord sur le plan d'aide de la zone euro à Chypre.
Le 25 juin 2012, Chypre a fait une demande d'aide auprès de l'Union européenne et du Fonds monétaire international.L'économie de Chypre est très dépendante du secteur tertiaire, marine marchande, tourisme et services financiers et juridiques. On estime que l'activité bancaire représente à peu près 8 fois la taille du PIB national. Or les banques chypriotes sont en grande difficulté, des difficultés dont l'exposition importante à la dette publique de la Grèce est une des causes principales. Comme d'autres banques de pays européens, elles ont du effacer une partie de la dette grecque qu'elles détenaient ce qui les a mises en difficulté puisqu'elles n'ont pu respecter de nouvelles règles européennes plus exigeantes en terme de capitalisation. L'état chypriote trop endetté pour pouvoir emprunter sur les marchés afin d'aider ses banques a donc du se tourner vers ses partenaires européens pour demander une assistance financière.
Le 16 mars un communiqué nous apprend que l'Eurogroupe, la Banque Centrale et le FMI ont trouvé un accord avec le Gouvernement chypriote sur un plan de sauvetage de 10 milliards d'euros (une somme à mettre en rapport avec le PIB chypriote qui était de 20,1929 en 2011, source eurostat).
Les détails du plan sont vite connus: en échange de l'aide, Chypre s'engage à prélever une taxe "exceptionnelle" de 6,75% sur les dépôts bancaires inférieurs à 100.000 euros et de 9,9% sur les dépôts qui excèdent ce seuil. Une retenue à la source sur les intérêts de ces dépôts est aussi prévue. Le plan comporte également des privatisations et une hausse de l'impôt sur les sociétés qui passera de 10 à 12,5%.
La création de la taxe sur les dépôts a provoqué à la fois panique chez les épargnants qui se sont précipités sur les guichets pour retirer leurs fonds et chez les marchés car un tabou est levé. Jusque là, il était génralement admis que, quoiqu'il en coute, les mesures d'assainissement d'une économie en crise ne doivent pas toucher les dépots bancaires de peur de provoquer précisément ce qui a lieu: la panique, et d'aggraver la situation.
Pour tenter de faire passer la potion, le gouvernement chypriote annonce qu'en échange des "prélèvements", les déposants recevront des actions de leurs banques et que la compensation sera faite "à 100%".
Pourquoi cette mesure a-t-elle été décidée?
Parce que derrière cette idée de taxer les dépots il y a l'idée que c'est de bonne guerre dans la mesure où Chypre est considérée comme un paradis fiscal qui s'est livrée à un dumping fiscal grâce à un taux d'imposition des sociétés particulièrement bas (10%) et donc attractif si on le compare à ceux pratiqués par la majorité de ses partenaires de la zone euro. D'où la hausse de 2,5% de l'impot sur les sociétés imposée à Chypre en contrepartie de l'aide européenne.
Un autre problème explique la pression exercée sur Chypre, celui de l'absence de transparence des investissements des non-résidents, russes en particulier. Selon les informations reprises dans une étude destinée au Parlement européen,plus de 25% des dépôts bancaires proviendraient de ressortissants russes. Et en raison de l'opacité de ces investissemnts, une part d'entre eux est fortement soupçonnée d'être liée à de l'argent sale. Taxer ces dépôts serait donc "vertueux". D'ailleurs, plusieurs dirigeants européens ont précisé qu'il s'agissait d'une solution exceptionnelle...donc réservée à Chypre (les chypriotes apprécient sûrement) et qu'il n'était pas envisagé de prendre des mesures similaires dans les autres pays "malades" de la zone euro.
Quelles que soient les explications et les déclarations qui se veulent rassurantes, les réactions négatives ne se sont pas fait attendre: colère des épargnants et inquiétude des marchés qui fait craindre à certains de nouvelles turbulences pour la zone euro.
La question posée est également politique, évidemment: dès le week-end, les épargnants qui ont essayé de retirer leurs liquidités de leur banque se sont heurtés au blocage de leur compte. Pas moyen d'échapper à la ponction annoncée. Cette façon de procéder conduit à s'interroger, une fois de plus, sur le rôle du parlement, qui doit consentir à l'impôt au nom des citoyens qu'il représente. De façon révélatrice, le vote prévu au Parlement chypriote pour avaliser a posteriori la décision prise, qui devait avoir lieu aujourd'hui a été repoussé d'un jour. Sans doute parce que le Gouvernement ne peut pas compter sur une majorité.
Enfin, s'il s'agit vraiment de taxer de l'argent sale comme on l'entend au nombre des explications, à quoi cela rime-t-il de pénaliser de petits épargnants comme les oligarques?
Aux dernières nouvelles, une taxation des dépôts bancaires moins pénalisante pour les petits déposants pourrait être adoptée. Mais les banques peuvent être rassurées: elles peuvent encore compter sur les citoyens pour réparer leurs erreurs.
Domaguil
Commentaires
Lucia
Je ne comprends pas bien une chose. Ce matin j'ai entendu des commentateurs dire que cette taxe serait en contradiction avec le législation communautaire sur la garantie des dépots bancaires qui prévoit que ces dépots sont protégés à hauteur de 100 000 euros. Comment le gouvernement de Chypre peut-il prendre une mesure contraire à la législation communautaire? N'est-il pas en infraction?
Domaguil
Une directive communautaire de 1994 modifiée en 2009 garantit actuellement les dépôts bancaires à hauteur de 100 000 euros par déposant http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:068:0003:0007:FR:PDF
Mais cette garantie s'applique en cas d'indisponibilité des dépots, lorsqu'une banque est devenue insolvable et ne peut restituer les dépots. En clair, quand elle fait faillite.
Ce qui se passe dans le cas de Chypre c'est que si l'état ne reçoit pas d'aide il ne pourra recapitaliser les banques en difficulté, celles-ci feront faillite et que...l'état devra appliquer la législation communautaire. Mais la probabilité est qu'il n'y a pas l'argent pour indemniser les déposants! C'est donc pour éviter ce scenario que le plan d'aide à Chypre a été adopté et c'est parce ce pays est considéré comme un refuge pour les investissements d'origine douteuse et pratique le dumping fiscal, que ses partenaires ont conditionné l'aide à la mise en place de la taxe des dépôts (et à une légère augmentation de l'impôt sur les sociétés). Cela peut se comprendre, mais le résultat paradoxal est que, du coup, on ne peut plus dire que les dépôts sont garantis.
C'est donc une contradiction, sinon avec la lettre de la directive communautaire, du moins avec son esprit qui est de "rétablir la confiance dans le secteur financier, ainsi que son bon fonctionnement..." et pour cela, de " protéger les dépôts des épargnants privés"!
La nécessité du plan de sauvetage ne parait pas contestée. Mais certaines des mesures et aussi la façon dont les décisions sont prises sont contestables. Ils sont quand même nuls à l'Eurogroupe. Les voila qui se renvoient la balle pour savoir qui a eu l'idée brillante de taxer les petits déposants!
http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20130319trib000754763/chypre-mais-qui-a-eu-l-idee-de-taxer-les-depots-bancaires.html
Et, pour sauver la face, ils font un nouveau communiqué pour demander que les dépôts ne soient taxés qu'au dela de 100000 euros (ils se sont sans doute rappelés tout d'un coup la directive de 2009)
http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/ecofin/136246.pdf
The Eurogroup continues to be of the view that small depositors should be treated
differently from large depositors and reaffirms the importance of fully guaranteeing deposits below EUR 100.000. The Cypriot authorities will introduce more progressivity in the one-off levy compared to what was agreed on 16 March, provided that it continues yielding the targeted reduction of the financing envelope and, hence, not impact the overall amount of financial assistance up to EUR 10bn.
Ils ne pouvaient pas y penser avant?
C'est vraiment n'importe quoi.
Il y a tout de même quelque chose de miraculeux dans ce plan, c'est que l'Humanité dénonce "le racket des épargnants chypriotes " dans un article intitulé: "la troïka fait les poches des citoyens de Chypre" http://www.humanite.fr/monde/la-troika-fait-les-poches-des-citoyens-de-chypre-517558
Un journal communiste qui prend la défense des rentiers, c'est pas ordinaire! mdr