Pedro et ses amis écrivent au Conseil
Une lettre ouverte aux chefs d'État et de gouvernement de l'Union vient d'être envoyée par 100 personnalités européennes du monde de l'éducation, des arts, de la littérature, de l'économie, de la philosophie et du sport. Les signataires sont des gens aussi différents que le cinéaste espagnol Pedro Almodovar, le lauréat du prix Nobel d'économie Christopher Pissarides, le biologiste Pierre Joliot-Curie, le philosophe Michel Serres, le président du FC Barcelone Sandro Rosell.Tous s'alarment des menaces qui pèsent sur le programme Erasmus.
Erasmus, le programme d'échanges d'étudiants, est à la fois très connu, et très emblématique de l'intégration européenne puisqu'il permet à des jeunes de vivre et de travailler avec des gens d'autres cultures et nationalités, et d'acquérir une formation ou une expérience transfrontalière. Il constitue le volet le plus important du programme de l’UE pour l’éducation et la formation tout au long de la vie (programme EFTLV), qui comprend trois autres sous-programmes: Leonardo da Vinci (enseignement et formation professionnels), Comenius (enseignement scolaire) et Grundtvig (éducation des adultes). Il permet d'attribuer des bourses à des étudiants de l’enseignement supérieur qui passent entre trois et douze mois dans un autre pays européen, pour y faire des études ou un stage dans une entreprise ou une autre organisation. La bourse mensuelle dépend du pays de destination et du type de mobilité demandé. En 2010-2011, le montant moyen était compris entre 133 € et 653 € selon les pays, le montant moyen tous pays confondus s’élevant à 250 €. Un autre aspect de l'action d'ERASMUS est la promotion des échanges de personnel universitaire et l'aide à la coopération entre établissements d’enseignement supérieur par le financement de projets et de réseaux transnationaux.
Depuis sa création en 1987, le programme a permis à plus de 2,5 millions d’étudiants européens de partir à l’étranger pour étudier dans un établissement d’enseignement supérieur ou pour effectuer un stage en entreprise. Il est en constant développement puisque, au cours de l’année universitaire 2010-2011, ce sont plus de 231 000 étudiants qui ont obtenu une bourse du programme, un nombre en augmentation de 8,5 % par rapport à l’année précédente. Selon la Commission européenne, si la tendance actuelle se confirme, l’objectif de 3 millions d’étudiants Erasmus que s’est fixé l’Union européenne sera atteint en 2012-2013. Pour l'avenir, dans le cadre de la stratégie Europe 2020 pour la croissance et l’emploi, la mobilité des jeunes en formation est un objectif clé qui devrait conduire à porter la mobilité des étudiants à 20 % au moins à la fin de la décennie (contre 10% actuellement).
Or, le programme est aujourd'hui à la croisée des chemins car non seulement il vient à expiration et doit être reconduit mais il connait des difficultés de financement.
La Commission européenne a présenté en novembre 2011 une proposition de nouveau programme-cadre. Appelé "Erasmus pour tous", il fusionnerait l'actuel programme avec les autres programmes et actions européens et internationaux portant sur l’enseignement, la formation, la jeunesse et les sports pour attribuer des bourses d'études et de formation (deux tiers des fonds) et financer des actions de coopération entre les institutions, les entreprises et d’autres organisations (le tiers restant). Son budget serait de 19 milliards d’euros pour la période 2014-2020, ce qui représenterait une augmentation de 70 % environ par comparaison avec les sommes allouées sur sept ans aux différents programmes. Autant dire que la négociation avec les états va être difficile.
Mais des échéances plus rapprochées menacent Erasmus.
En effet, la proposition de budget rectificatif pour 2012 adoptée par la Commission le 23/10/2012 révèle un déficit important dans le budget du programme «Éducation et formation tout au long de la vie»: il manque 90 millions d'euros pour honorer les obligations prises envers les étudiants Erasmus et 102 millions d’euros pour le soutien des chercheurs bénéficiant des «actions Marie Curie» (concrètement, l'Union européenne ne pourra pas rembourser demandes de paiement des agences nationales chargées de distribuer les bourses Erasmus). La Commission explique que le budget voté par le Parlement et le Conseil pour 2012 était insuffisant et que, de plus, des factures impayées de 2011 se sont ajoutées aux dépenses, contribuant à creuser un peu plus le déficit. A terme (à l'horizon de second semestre de l'année universitaire 2012-2013, estime la Commission), il pourrait y avoir des problèmes importants de paiement des bourses Erasmus, au détriment des étudiants issus de milieux défavorisés pour lesquels ces bourses sont une aide précieuse.
Or, les négociations actuelles sur le budget de l'Union européenne pour 2013 montrent que les états, contrairement au Parlement européen et à la Commission, veulent un budget communautaire a minima (tout en demandant à l'Union de mener des politiques ambitieuses pour la croissance et l'emploi!).L'heure est aux économies de bouts de chandelle.
D'où l'inquiétude des signataires de la lettre qui rappellent que "La jeunesse de l’Europe est très durement touchée par la crise économique" et que "Cela ne peut plus durer". "Nous ne pouvons nous permettre une génération perdue", affirment-ils. Or, "dans un monde en mutation accélérée, et de plus en plus mobile, interdépendant et multiculturel...une bonne éducation est fondamentale" et elle doit être "au coeur de la réponse de l’Europe à une telle situation".
«Erasmus pour tous» coûtera moins de 2% du budget total de l’Union européenne, rappellent les signataires. 2% pour investir dans l'avenir des jeunes ce qui est "le devoir d'une société civilisée"...est-ce trop demander? Mais les gouvernements de l'Union tout à leurs calculs et les yeux rivés sur les échéances électorales sont-ils capables de comprendre?
Domaguil