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Nul n’est censé ignorer le droit communautaire : droit communautaire et droit national . III- La primauté du droit communautaire, version Conseil dEtat

Le Conseil constitutionnel s’est attaché à clarifier les rapports entre droit communautaire et Constitution, en répondant à la question : comment concilier le principe de la suprématie de la Constitution dans l’ordre juridique interne  avec l’existence d’un droit communautaire dont la Cour de Justice des Communautés Européennes a depuis longtemps jugé qu’il s’impose aux normes juridiques nationales y compris constitutionnelle ?

 

 

Voilà que le Conseil d’Etat lui emboîte le pas dans une décision du 08/02/2007 et apporte sa contribution à cet édifice jurisprudentiel qui bouscule notre conception de la hiérarchie des normes.

 

 

Le Conseil d’Etat avait été saisi par la société Arcelor d’une requête tendant à l’annulation d’un décret transposant la directive communautaire 2003/87 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre mis en place dans le cadre du protocole de Kyoto.Au nombre des moyens invoquées par la requérante à l’appui de sa demande d’annulation figurait le fait que le décret était contraire à des principes de valeur constitutionnelle : droit de propriété, liberté d’entreprendre et égalité.

 

 

Le Conseil d’Etat observe tout d’abord que le décret assure la transposition d’une directive aux dispositions claires et inconditionnelles. En d’autres termes : le Gouvernement auteur du décret était lié par elles et  ne pouvait les modifier, seulement les retranscrire. Par conséquent, mettre en cause la conformité du décret aux principes constitutionnels équivaut à mettre en cause le texte communautaire qu’il transpose. Or, si les engagements internationaux doivent être conformes à la Constitution et aux principes à valeur constitutionnelle, dans le cas des traités communautaires et des actes qui en sont dérivés, le contrôle de cette conformité doit s’effectuer « selon des modalités  particulières », lorsque sont en cause des textes transposant des dispositions claires et inconditionnelles, car l’obligation de transposition est elle-même une obligation constitutionnelle résultant de l’article 88-1 de la Constitution à laquelle il ne peut pas être fait échec.

 

 

Les « modalités particulières » de contrôle évoquées par la décision ont ainsi pour but d’éviter un conflit entre le principe de la suprématie  de la Constitution sur les traités internationaux  et l’exigence de transposition des directives, dans les cas où cette transposition obligatoire conduirait à adopter une loi ou un règlement contraire à la Constitution ou à un principe de valeur constitutionnelle.

 

 

Dans cette hypothèse, le juge administratif doit  rechercher s’il existe une règle ou un principe général du droit communautaire équivalant au principe constitutionnel dont la violation est invoquée et contrôler la conformité du décret, ou plus exactement de la directive dont il est la transposition, à cette règle ou ce principe. Si la réponse à cette question soulève un doute sérieux, le Conseil d’Etat doit renvoyer là la Cour de Justice des Communautés européennes le soin d’apprécier la validité de la directive (mécanisme de la question préjudicielle de l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne).

 

 

Dans le cas contraire, il statue lui-même. Si la validité de la directive est constatée, le décret de transposition est maintenu et le recours en annulation rejeté. Dans le cas contraire, les conséquences sont évidemment l’annulation du décret.

 

 

S’il n’existe pas de règle ou de principe général du droit communautaire équivalant à la disposition ou au principe constitutionnel invoqué, le juge administratif contrôle alors la conformité des dispositions réglementaires contestées à la Constitution.

 

 

En l’espèce, le Conseil d’Etat après avoir constaté que le droit de propriété et la liberté d’entreprendre et l’égalité sont bien protégés au titre des principes généraux du droit communautaire, juge que la directive communautaire ne remet pas en cause les deux premiers  et n’est donc pas illégale sur ces points. En revanche, il sursoit à statuer et renvoie à la Cour de Justice des Communautés européennes la question de la validité de la directive au regard du principe d’égalité.

 

 

Sur un plan plus général, la décision du Conseil d’Etat tire les conséquences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel au terme de laquelle l’article 88-1 de la Constitution « a…consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à  l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international » (décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, le Traité établissant une Constitution pour l’Europe). Ainsi, le bloc de constitutionnalité s’enrichit du droit européen qui, dans certains cas s’imposera comme la norme suprême de l’ordre juridique interne (chaque fois que n’y feront pas obstacle des dispositions  inhérentes à notre identité constitutionnelle, selon la formule du Conseil constitutionnel, ou des principes constitutionnels n’ayant pas d’équivalant en droit communautaire, selon celle du Conseil d’Etat). Avec pour conséquence que le juge national doit alors faire siennes les décisions de la Cour de Justice des Communautés européennes seule compétente pour interpréter un texte communautaire ou en apprécier la validité. Certes la notion d’absence de doute qui lui permet, comme on l’a vu, de ne pas renvoyer à la Cour  lui laisse une certaine latitude, mais pas au point de méconnaître sciemment la règle communautaire. Comme le formule  le communiqué de presse présentant la décision du 8 février : « Cette décision manifeste de la part du Conseil d’État le souci de tirer toutes les conséquences de la confiance réciproque qui doit présider aux relations entre systèmes nationaux et système communautaire de garantie des droits ».  Ce qui signifie la volonté d’appliquer « loyalement » le droit communautaire et d’en préserver l’effet utile en reconnaissant sa primauté. Dès lors, il faut bien reconnaître que le dogme de la suprématie absolue de la Constitution a vécu et que cette suprématie est  aujourd’hui cantonnée à un ensemble de règles aux frontières indécises et peut-être mouvantes au gré des jurisprudences : « règles inhérentes à l’identité constitutionnelle », « principe spécifique » au bloc de constitutionnalité, ou encore « valeurs fondamentales »…

 

 

Ce qui me conforte dans le sentiment, déjà évoqué dans d’autres articles,  de vivre un moment paradoxal, dans lequel l’Union européenne peine à se relancer faute de projet et de volonté politique, tandis que l’intégration juridique progresse à grands pas.

Domaguil

  

Commentaires

  • Bonjour,


    En clair, peut-on encore parler de Constitution à l’échelle nationale ? Ne serions-nous pas déjà de fait en fédération ou quelque chose qui y ressemble ?

    Que se passerait-il si un texte européen, devant être transposé en droit national, était en contradiction avec la Constitution (cas où la légitimité de ce texte à l’échelon européen ne faisait aucun doute) ? La Constitution devrait être modifiée tout simplement, dans ce cas, non ?

    D’ailleurs, franchement, est-ce qu’on pourrait imaginer des principes établis en droit européens, à l’échelon européen, qui seraient en si flagrantes contradictions avec le droit national qu’ils mettraient en péril… quoi, d’abord ?

    Et puis, à partir du moment où c’est voté à l’échelon européen, quel recours ? Pour aller un peu plus loin, peut-on vraiment faire un plan de carrière durable lorsqu’on veut être élu député national ?

    Cela fait beaucoup de questions. Terminons par la plus grave de toutes mes interrogations : pourquoi est-ce que je mets encore une majuscule à Constitution ?

    Sinon, retour sur le référendum et son objet (et non son résultat) :

    Est-ce que ce paradoxe, comme vous dites en conclusion, qui devait être assez inéluctable en fait, ne recèle pas une explication de l’énergie déployée par certains partisans du oui à appeler « Constitution » le Traité Établissant une Constitution pour l’Europe ?

    Pourtant, vous-même, vous nous aviez dit que ce texte n’avait pas de valeur constitutionnelle au sens où il n’avait de valeur juridique supérieure à la Constitution nationale ? Et qu’il s’agissait d’un traité international. Quelle différence finalement ?

    Du coup, j’avoue que je m’y perds complètement.

    Merci pour vos lumières

    Cordialement,

    Stéphane

  • Bonjour Stéphane

    « En clair, peut-on encore parler de Constitution à l’échelle nationale ? Ne serions-nous pas déjà de fait en fédération ou quelque chose qui y ressemble ? »

    L’Union européenne est depuis longtemps une construction hybride qui a des traits de fédéralisme et il est certain que l’intégration par le droit en est un élément. Voyez le rôle de la Cour suprême aux Etats-Unis. Eh bien la Cour de justice des Communautés a la même tentation et, des juridictions suprêmes nationales comme le Conseil constitutionnel participent à cette consécration de la primauté du droit communautaire, avec de moins en moins de tabous.

    « Que se passerait-il si un texte européen, devant être transposé en droit national, était en contradiction avec la Constitution (cas où la légitimité de ce texte à l’échelon européen ne faisait aucun doute) ? La Constitution devrait être modifiée tout simplement, dans ce cas, non ? »

    Ce sont les principes exposés dans les arrêts commentés qui s’appliquent. Le texte communautaire primera sauf si une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France s’y oppose. Dans ce cas, il faudra au préalable modifier la Constitution, donc obtenir l’aval du constituant pour que le texte s’applique. Il y a donc bien ce que les juristes appellent une « réserve de constitutionnalité » qui constitue la frontière ultime à laquelle peut se heurter le droit communautaire.

    Sur le traité constitutionnel européen, je ne me souviens pas d‘avoir écrit que « ce texte n’avait pas de valeur constitutionnelle au sens où il n’avait pas de valeur juridique supérieure à la Constitution nationale ». Il me semble que ce que j’ai toujours soutenu est qu’il s’agissait d’un traité international par différentes caractéristiques qui le distinguaient d’une constitution : son mode d’adoption (signature des états et ratification nationale selon les procédures constitutionnelles propres à chaque pays),
    -son contenu (une constitution se limite en principe à poser les règles relatives à la
    dévolution et à l’exercice du pouvoir d’état, et à inclure souvent une déclaration des droits : ce n’était pas le cas)
    -son mode de révision (unanimité des états signataires)
    -le fait qu’il prévoyait un droit de retrait

    Et pour ce qui est de sa « valeur » par rapport à la constitution française, j’avais traité le sujet sur mon site dans le dossier constitution, à la page suivante : http://www.eurogersinfo.com/ constit/intox17.htm dans un article qui reprenait ma réponse à une question qui m’avait été souvent posée lors du débat référendaire par des internautes, à savoir : Le traité établissant une Constitution pour l'Europe s'impose-t-il aux Constitutions nationales? Et, pour faire court (je vous renvoie à l’article) j’expliquais comment le Conseil constitutionnel avait conclu que le traité constitutionnel européen n’avait pas une prééminence plus grande que les traités actuels.

    Preuve en est : les décisions récentes du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat qui consacrent la primauté du droit communautaire (encore une fois, sous les réserves indiquées) ont été rendues sous l’empire des traités actuels , le TCE n’a rien à voir là dedans.

  • « J’expliquais comment le Conseil constitutionnel avait conclu que le traité constitutionnel européen n’avait pas une prééminence plus grande que les traités actuels ».

    Voilà où je me suis trompé lorsque je vous ai attribué des propos qui n’étaient pas les vôtres, ce dont je m’excuse platement.

    Naïvement, je n’avais pas compris à l’époque que le droit européen était déjà supérieur aux Constitutions nationales ou en tout cas portait en lui une prééminence plus grande du fait de sa construction (à l’échelon européen) ce que n’ont fait que reconnaître deux ans plus tard les différents Conseils en France.

    Et je tirais moi-même cette conclusion de non supériorité du TCE sur la Constitution nationale, conclusion que je croyais simplement induite de la phrase du Conseil Constitutionnel, pensant que les traités européens hors TCE n’étaient pas de valeur plus grande que la Constitution. Puisque aucun Conseil Constitutionnel ou d’État ou autre concernés en France ne le disait.

    En tout cas, je vous remercie d’avoir pris le temps de répondre à ce naïf qui croit tout ce qu’on ne lui dit pas.

    Et vos lumières restent des référents dont je ne vous remercierais jamais assez,

    Cordialement,

    Stéphane

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