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droit national

  • Applicabilité directe du droit communautaire, suite

    Suite de la série des notes consacrées aux rapports du droit national et du droit communautaire avec le commentaire de la récente décsion du Conseil d'Etat sur l'applicabilité des directives.

    Dans une décision du 30/10/2009, le Conseil d’Etat  reconnaît aux justiciables la possibilité de se prévaloir d’une directive européenne alors même qu’elle n’aurait pas été transposée en droit national. Ainsi un dernier obstacle à l’autorité du droit communautaire se trouve levé.

    Au fil de décisions successives, le Conseil d’Etat avait admis la primauté de textes communautaires : traités, puis règlements, et enfin directives. Mais s’agissant de ces dernières, il y mettait une restriction. Une personne ne pouvait pas contester une décision administrative individuelle, en se fondant sur une directive non transposée (décision Ministre de l'Intérieur/Cohn-Bendit). Cette directive n’étant pas d’application directe elle ne pouvait s’imposer au droit national. Ce qui allait à l’encontre de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés Européennes qui avait jugé qu’une directive non transposée est applicable et donc peut être invoquée du moins dans ses dispositions «inconditionnelles et suffisamment précises » (arrêt Yvonne van Duyn contre Home Office).

    La décision du 30 octobre 2009 marque un revirement de jurisprudence.

    Dans l’affaire soumise au Conseil d’Etat, une magistrate ayant des activités syndicales s’était vu refuser un poste de chargée de formation à l’Ecole nationale de la magistrature auquel elle s’était portée candidate. Elle avait demandé l’annulation de cette décision en estimant que le refus était motivé par son engagement syndical et constituait une discrimination illégale. Elle se fondait sur la directive n° 2000/78  du 27 novembre 2000, et plus précisément de l’article 10 de ce texte qui fait obligation aux états de l’Union européenne de prévoir un dispositif adapté de charge de la preuve devant le juge dans les cas où est invoquée une discrimination. Ce dispositif allège de fait l’obligation pour le plaignant de démontrer la discrimination puisque l’article 10 prévoit :  « 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement. 2. Le paragraphe 1 ne fait pas obstacle à l’adoption par les Etats membres de règles de la preuve plus favorables aux plaignants ».

    Mais cet argument était-il recevable alors que la directive n’avait pas été transposée par la France à l’époque de la nomination contestée, c’est-à-dire en août 2006 alors que le délai fixé pour transposer la directive avait expiré le 2 décembre 2003?  ( la transposition a été effectuée par l’article 4 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008). Le Conseil d’Etat répond par l’affirmative : « tout justiciable », dit la décision, « peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, lorsque l’Etat n’a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires ».

    On retiendra donc qu’une décision individuelle peut être annulée par le juge administratif si elle viole une directive européenne dont les dispositions sont précises et inconditionnelles et qui aurait du être transposée dans le droit interne au moment où a été notifiée la décision.

    Le raisonnement du juge se fonde sur deux éléments essentiels :

    - La transposition des directives communautaires, est, non seulement une obligation prévue par le Traité instituant la Communauté européenne, mais aussi une obligation constitutionnelle en vertu de l’article 88-1 de la Constitution française et il incombe au  juge national, parce qu’il est  « juge de droit commun de l’application du droit communautaire », de « garantir l’effectivité des droits que toute personne tient de cette obligation constitutionnelle à l’égard des autorités publiques ». On peut approuver cette position de ne pas faire supporter aux justiciables les conséquences de l’inaction de l’Etat...

    - Mais au dela, cette décision lève la dernière incertitude qui hypothéquait la reconnaissance de l’applicabilité directe des textes communautaires par le juge administratif. Il s’agit d’ailleurs davantage d’une simplification que d’une nouvelle possibilité de recours pour les administrés. En effet, dès 1978 , dans l’arrêt Cohn-Bendit, le Conseil d’Etat avait indiqué la voie à suivre pour contester un acte individuel : au lieu de demander directement l’annulation de l’acte individuel pour non conformité à une directive, le requérant aurait du  soulever une exception consistant à remarquer que la réglementation nationale sur la base de laquelle avait été prise la décision individuelle contestée était contraire à la directive. L’ illégalité de la première pour violation de la directive entraînait  l’illégalité de l’acte qui en découlait.

    La décision du 30/10/2009 permet de ne plus devoir passer par le biais de l’exception en confrontant la décision contestée à la directive.

    Domaguil

  • Nul n’est censé ignorer le droit communautaire : droit communautaire et droit national . III- La primauté du droit communautaire, version Conseil dEtat

    Le Conseil constitutionnel s’est attaché à clarifier les rapports entre droit communautaire et Constitution, en répondant à la question : comment concilier le principe de la suprématie de la Constitution dans l’ordre juridique interne  avec l’existence d’un droit communautaire dont la Cour de Justice des Communautés Européennes a depuis longtemps jugé qu’il s’impose aux normes juridiques nationales y compris constitutionnelle ?

     

     

    Voilà que le Conseil d’Etat lui emboîte le pas dans une décision du 08/02/2007 et apporte sa contribution à cet édifice jurisprudentiel qui bouscule notre conception de la hiérarchie des normes.

     

     

    Le Conseil d’Etat avait été saisi par la société Arcelor d’une requête tendant à l’annulation d’un décret transposant la directive communautaire 2003/87 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre mis en place dans le cadre du protocole de Kyoto.Au nombre des moyens invoquées par la requérante à l’appui de sa demande d’annulation figurait le fait que le décret était contraire à des principes de valeur constitutionnelle : droit de propriété, liberté d’entreprendre et égalité.

     

     

    Le Conseil d’Etat observe tout d’abord que le décret assure la transposition d’une directive aux dispositions claires et inconditionnelles. En d’autres termes : le Gouvernement auteur du décret était lié par elles et  ne pouvait les modifier, seulement les retranscrire. Par conséquent, mettre en cause la conformité du décret aux principes constitutionnels équivaut à mettre en cause le texte communautaire qu’il transpose. Or, si les engagements internationaux doivent être conformes à la Constitution et aux principes à valeur constitutionnelle, dans le cas des traités communautaires et des actes qui en sont dérivés, le contrôle de cette conformité doit s’effectuer « selon des modalités  particulières », lorsque sont en cause des textes transposant des dispositions claires et inconditionnelles, car l’obligation de transposition est elle-même une obligation constitutionnelle résultant de l’article 88-1 de la Constitution à laquelle il ne peut pas être fait échec.

     

     

    Les « modalités particulières » de contrôle évoquées par la décision ont ainsi pour but d’éviter un conflit entre le principe de la suprématie  de la Constitution sur les traités internationaux  et l’exigence de transposition des directives, dans les cas où cette transposition obligatoire conduirait à adopter une loi ou un règlement contraire à la Constitution ou à un principe de valeur constitutionnelle.

     

     

    Dans cette hypothèse, le juge administratif doit  rechercher s’il existe une règle ou un principe général du droit communautaire équivalant au principe constitutionnel dont la violation est invoquée et contrôler la conformité du décret, ou plus exactement de la directive dont il est la transposition, à cette règle ou ce principe. Si la réponse à cette question soulève un doute sérieux, le Conseil d’Etat doit renvoyer là la Cour de Justice des Communautés européennes le soin d’apprécier la validité de la directive (mécanisme de la question préjudicielle de l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne).

     

     

    Dans le cas contraire, il statue lui-même. Si la validité de la directive est constatée, le décret de transposition est maintenu et le recours en annulation rejeté. Dans le cas contraire, les conséquences sont évidemment l’annulation du décret.

     

     

    S’il n’existe pas de règle ou de principe général du droit communautaire équivalant à la disposition ou au principe constitutionnel invoqué, le juge administratif contrôle alors la conformité des dispositions réglementaires contestées à la Constitution.

     

     

    En l’espèce, le Conseil d’Etat après avoir constaté que le droit de propriété et la liberté d’entreprendre et l’égalité sont bien protégés au titre des principes généraux du droit communautaire, juge que la directive communautaire ne remet pas en cause les deux premiers  et n’est donc pas illégale sur ces points. En revanche, il sursoit à statuer et renvoie à la Cour de Justice des Communautés européennes la question de la validité de la directive au regard du principe d’égalité.

     

     

    Sur un plan plus général, la décision du Conseil d’Etat tire les conséquences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel au terme de laquelle l’article 88-1 de la Constitution « a…consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à  l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international » (décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, le Traité établissant une Constitution pour l’Europe). Ainsi, le bloc de constitutionnalité s’enrichit du droit européen qui, dans certains cas s’imposera comme la norme suprême de l’ordre juridique interne (chaque fois que n’y feront pas obstacle des dispositions  inhérentes à notre identité constitutionnelle, selon la formule du Conseil constitutionnel, ou des principes constitutionnels n’ayant pas d’équivalant en droit communautaire, selon celle du Conseil d’Etat). Avec pour conséquence que le juge national doit alors faire siennes les décisions de la Cour de Justice des Communautés européennes seule compétente pour interpréter un texte communautaire ou en apprécier la validité. Certes la notion d’absence de doute qui lui permet, comme on l’a vu, de ne pas renvoyer à la Cour  lui laisse une certaine latitude, mais pas au point de méconnaître sciemment la règle communautaire. Comme le formule  le communiqué de presse présentant la décision du 8 février : « Cette décision manifeste de la part du Conseil d’État le souci de tirer toutes les conséquences de la confiance réciproque qui doit présider aux relations entre systèmes nationaux et système communautaire de garantie des droits ».  Ce qui signifie la volonté d’appliquer « loyalement » le droit communautaire et d’en préserver l’effet utile en reconnaissant sa primauté. Dès lors, il faut bien reconnaître que le dogme de la suprématie absolue de la Constitution a vécu et que cette suprématie est  aujourd’hui cantonnée à un ensemble de règles aux frontières indécises et peut-être mouvantes au gré des jurisprudences : « règles inhérentes à l’identité constitutionnelle », « principe spécifique » au bloc de constitutionnalité, ou encore « valeurs fondamentales »…

     

     

    Ce qui me conforte dans le sentiment, déjà évoqué dans d’autres articles,  de vivre un moment paradoxal, dans lequel l’Union européenne peine à se relancer faute de projet et de volonté politique, tandis que l’intégration juridique progresse à grands pas.

    Domaguil

      
  • Nul n’est censé ignorer le droit communautaire : droit communautaire et droitnational . II – L’effet direct du droit communautaire

    L’effet direct du droit communautaire n’est pas systématique  car il suppose que la norme communautaire soit claire, précise et inconditionnelle, ce qui n’est pas toujours  le cas.

     

     

    En vertu de l’article 249 du traité instituant la Communauté européenne, les règlements communautaires, qui ont force obligatoire dès leur publication au Journal officiel de l’Union européenne sans aucune mesure nationale de « réception » au sein du droit interne, sont directement applicables. Il en est de même des décisions adressées à des particuliers.

     

     

     

    Pour les autres textes de droit communautaire, il faut se référer à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui a une conception extensive de l’effet direct. Le but étant bien sûr de donner au droit communautaire la plus grande efficacité et le plus de rayonnement possible par rapport aux droits nationaux.

     

     

     

    Dans cette optique,  différentes dispositions des traités se sont vu reconnaître un effet direct au fil des arrêts de la Cour (par exemple : libre circulation, liberté d’établissement, libre prestation des services, liberté de circulation des marchandises, égalité des rémunérations entre hommes et femmes, interdiction de toute discrimination, libre concurrence).

     

     

     

    Les directives communautaires ont également bénéficié de cette jurisprudence favorable au droit communautaire. Ce qui n’allait pas de soi pourtant car les directives sont des  textes cadres généraux qui nécessitent que des mesures nationales les complètent pour pouvoir être appliqués.  Contrairement aux règlements et aux traités, elles ne prennent  pas immédiatement place dans les ordres juridiques nationaux aux côtés des normes internes, mais doivent être "transposées" par des lois ou des règlements nationaux . C’est pourquoi elles n’ont  pas d’effet direct en principe et ne peuvent pas être invoquées par les particuliers.

     

     

     

    Mais comme tout principe, celui-ci comporte des exceptions, grâce à la Cour de justice qui reconnaît aux particuliers le droit d’invoquer les directives « inconditionnelles et suffisamment précises » (CJCE 04/12/1974, Van Duyn). Les particuliers peuvent donc se prévaloir directement devant le juge national des droits que leur confèrent les dispositions d’une directive non transposée ou mal transposée si ces dispositions remplissent les conditions pour avoir un effet direct. Si la réglementation nationale n’est pas conforme aux dispositions de la directive, le juge doit l’écarter et applique la directive. Mais, en France, le  Conseil d’Etat oppose une certaine résistance: en 1978, il a jugé qu’un requérant ne pouvait pas invoquer les dispositions d’une directive non transposée pour demander l’annulation d’un acte administratif individuel (Conseil d’Etat, 22/12/1978, Ministre de l’Intérieur c./ Cohn-Bendit). Ce qui ne signifie pourtant pas que les particuliers soient privés de tout recours. Car ils peuvent invoquer les dispositions d’une directive à l’appui d’un recours en annulation contre un acte réglementaire pris pour assurer sa transposition (28 /09/1984, Confédération nationale des sociétés de protection des animaux de France) et demander et obtenir le retrait de tout acte réglementaire non conforme à une directive (CE.03/02/1989, Compagnie Alitalia). Et, pour ce qui est des actes individuels, le Conseil d’Etat indique lui-même dans l’arrêt Cohn-Bendit,  le moyen qui aurait rendu le recours recevable : au lieu de demander directement l’annulation de l’acte individuel pour non conformité à une directive, le requérant aurait du  soulever une exception consistant à remarquer que la réglementation nationale sur la base de laquelle avait été prise la décision individuelle contestée était contraire à la directive. L’ illégalité de la première pour violation de la directive entraînait  l’illégalité de l’acte qui en découlait.

     

     

     
  • Nul n’est censé ignorer le droit communautaire : droit communautaire et droit national (I)

    Le droit communautaire est constitué par les traités européens (des centaines de pages) que l'on appelle le droit primaire et les actes adoptés  par le législateur communautaire (Parlement et Conseil) sur proposition de la Commission (des dizaines et  dizaines de milliers de pages). L’essentiel de cette « législation » est constitué par les règlements, les directives, et les décisions, cet ensemble de textes étant appelé le droit communautaire dérivé (puisqu’ils interviennent dans le cadre de l’application des dispositions des traités).

     

     

    Il faudrait ajouter que l’ordre juridique communautaire englobe d’autres règles de droit et en particulier, les principes généraux du droit et  la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européenne. Mais ce serait nous entraîner trop loin.

     

     

    De même que nul n’est censé ignorer la loi française, nul n’est censé ignorer le droit communautaire, car lui, n’ignore plus grand chose de notre vie quotidienne : sécurité sociale, consommation, environnement, conditions de travail, santé, droit civil, lutte contre la criminalité, monnaie, etc… il y a peu de domaines de la vie des particuliers dont le droit communautaire se désintéresse, même si son influence y est très variable. Pour les entreprises la montée en puissance des règles communautaires est encore plus flagrante, l’intégration européenne ayant été depuis l’origine de nature économique essentiellement.

     

     

    Quelquefois, les normes juridiques communautaires se fondent dans la législation nationale, quelquefois elles s’y superposent, ajoutant de nouvelles couches à l’indigeste mille feuilles législatif et réglementaire. Et toujours, cette incorporation au droit interne obéit à deux principes qui sont l’effet direct et la primauté du droit communautaire sur le droit national, dont la finalité est d’en assurer l’application effective et uniforme dans tous les pays de l’Union européenne.

     

     

    Mais de quoi s’agit-il. ?

     

     

    Le droit communautaire doit pouvoir produire des effets  dans les différents états membres à l’instar de leurs propres règles de droit nationales. C’est ce qu’a affirmé la Cour de Justice des Communautés européennes pour la première fois en 1963 : "le droit communautaire, indépendant de la législation des états membres, de même qu'il crée des charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique" (arrêt du 05/02/1963,Van Gend en Loos/administration fiscale néerlandaise). Bref, vous et moi pouvons faire valoir les droits que nous reconnaissent les textes communautaires de la même façon que s’il s’agissait d’une loi ou d’un règlement français. De plus, le droit communautaire a une valeur contraignante supérieure à celle de la législation nationale : en cas de contradiction entre les deux c’est le droit communautaire qui doit s’appliquer.

     

     

    Dans le détail, c’est un peu plus compliqué…comme nous le verrons dans de prochaines notes.