Bilan des travaux de la CIG sur le traité modificatif européen
Récemment, la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne a tenu des auditions afin d’être informée sur les négociations sur le traité modificatif européen (également appelé en France traité réformateur) et, plus précisément sur l’état d’avancement des travaux de la Conférence Intergouvernementale chargée de l’élaborer.
Ainsi, le 19 septembre, la délégation à l'Union européenne de l’Assemblée Nationale recevait les députés européens Elmar Brok, Enrique Baron Crespo et Andrew Duff, représentants du Parlement européen à la Conférence intergouvernementale. Une semaine plus tard, c’était au tour du Secrétaire d’Etat français chargé des affaires européennes, M. Jean-Pierre Jouyet.
Que faut-il retenir de ces auditions?
Selon M.Jouyet, les travaux « se déroulent à un rythme tout à fait satisfaisant » grâce à la Présidence portugaise de l’Union européenne. Le mandat détaillé donné à la CIG par le Conseil européen en juin dernier a permis de beaucoup progresser et le Conseil informel des affaires générales (« Gymnisch ») qui s’est tenu au début du mois de septembre n’a pas identifié de « problèmes exigeant un arbitrage politique » et s’est déroulé « dans une atmosphère de bonne volonté commune ». Le texte devrait donc pouvoir être présenté au Conseil européen des 17 et 18 octobre comme le prévoit le calendrier... si toutefois, d’ici là, les difficultés qui subsistent sont résolues.
Car, des difficultés, il y en a.
Une première est liée à la volonté du gouvernement polonais d’intégrer dans le futur traité la possibilité pour un nombre d’états inférieur au seuil de minorité qualifiée (moins de 75 % des seuils de population et d’Etats jusqu’en 2017 puis moins de 55 % après cette date) de suspendre le vote sur un projet de décision et de débattre de cette question afin de parvenir à une solution dans un délai « raisonnable », ce que l’on appelle « le compromis de Ioannina » et qui correspond actuellement à une pratique non inscrite dans les traités. Selon l’eurodéputé Elmar Brok, « les Polonais ont une conception peu raisonnable de ce délai « raisonnable » qui, à son avis, ne devrait pas dépasser un semestre, sauf à accorder dans les faits un droit de veto à presque chaque Etat membre et « à vider le concept de majorité qualifiée de sa substance ». De fait, les 26 autres pays refusent cette revendication polonaise, arguant que les polonais ne peuvent ajouter ce point au mandat défini en juin d’un commun accord entre les états.
Il en est de même de la question de l’augmentation du nombre des avocats généraux à la Cour de justice de l’Union européenne, soulevée aujourd’hui par les polonais mais qui n’a jamais été abordée antérieurement et qui ne peut, selon les Traités, être décidée que sur demande de la Cour elle-même.
Une autre difficulté a trait aux modalités concrètes de l’exercice par le Royaume-Uni de son opt-out (décision de rester à l’écart) dans les matières relevant de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et de l’élargissement de la compétence de la Cour à l’ensemble des actes pris dans le cadre de ce qui constitue actuellement le troisième pilier de l’Union européenne (notamment, recours en manquement pour non-transposition des directives). L’évolution qui conduit à intégrer le troisième pilier au premier, n’est pas acceptée par le Royaume-Uni qui subordonne donc son accord au futur traité à la possibilité de ne pas se voir appliquer certaines de ses dispositions. Mais cette démarche, outre qu’elle définit une conception d’ « Europe à la carte » peu compatible avec l’idée même d’union, pose des problèmes d’application pratiques. Par exemple, comment s’exercera concrètement la faculté du Royaume-Uni de choisir de participer ou non aux mesures prises dans le cadre de l’espace Schengen de libre circulation des personnes, qui prévoit la suppression des frontières internes et le renforcement des frontières extérieures ? Si le Royaume-Uni peut librement choisir les contraintes qu’il s’impose et les coopérations auxquelles il adhère, comment les autres pays pourront-ils veiller à la cohérence et à l’efficacité des mesures adoptées? Cet aspect de la négociation est, semble-t-il, un de ceux qui posent le plus de problèmes et ralentit les travaux des experts. L’enjeu est ainsi résumé par l’eurodéputé Andrew Duff : « Il conviendrait d’interroger les autorités britanniques sur leurs intentions exactes afin de sortir de cette démarche au coup par coup. La CIG n’est pas en train de rédiger un code de bonne conduite pour la prochaine saison politique mais un traité destiné à durer au-delà des changements de gouvernement. Si l’actuel ministre des affaires étrangères, M. David Miliband, est sans doute un Européen convaincu comme il le dit, il doit penser à son successeur qui sera peut-être un conservateur. Il faut donc veiller à ce que les instruments dont disposent les Britanniques soient définis de manière scrupuleuse pour être bien utilisés dans l’avenir ».
Sur la charte des droits fondamentaux qui fait l’objet de demandes d’opt out de la part de la Pologne et du Royaume-Uni, M.Jouyet après avoir rappelé que la question avait été réglée dans le mandat défini en juin, a minoré l’importance de l’opposition de ces deux pays, soulignant qu’au contraire la Pologne « ne serait pas hostile à la partie de la Charte relative aux droits sociaux ».
Le débat du Secrétaire d’Etat aux affaires européennes a également permis d’aborder d’autres questions sous un angle plus « franco-français ».
Ainsi, celle de la ratification du traité modificatif tout d’abord, qui, selon le ministère des affaires étrangères, devrait être précédée d’une révision constitutionnelle dans la mesure où la Constitution française dans sa rédaction actuelle fait référence au « Traité constitutionnel », alors que le futur traité devrait d’appeler « Traité modificatif ». Ensuite, la ratification par le Parlement pourrait intervenir durant les deux premiers mois de l’année 2008, le Gouvernement souhaitant aller vite.
Sur la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et l’articulation entre la relance de la défense européenne et la réintégration éventuelle par la France des structures militaires intégrées de l’OTAN, évoquée par le Président de la République dans de récentes déclarations, M.Jouyet a rappelé que « dans la pratique, il existe déjà une forte imbrication entre l’OTAN et la politique européenne dans ce domaine, puisque 21 des 27 Etats membres sont membres de la structure intégrée de l’OTAN » et que les conditions posées par la France pour rejoindre ces états sont qu’il y ait une relance parallèle de la politique européenne de défense et un renforcement de ses moyens. La Présidence française de l’Union en 2008 devrait proposer des initiatives dans ce domaine. Mais sur le thème général de la PESC, la France va devoir convaincre des partenaires très réticents si l’on en croit M.Elmar Brok qui souligne dans son audition que la PESC concentre, « comme de coutume », les dissensions les plus marquées entre partisans de la naissance d’une Europe forte, parlant d’une seule voix et capable d’équilibrer le dialogue transatlantique et les opposants, qui à l’instar du Royaume-Uni, veulent avant tout conserver la proximité stratégique avec les Etats-Unis et sont hostiles à toute réforme européenne qui irait au delà d’une coopération à caractère intergouvernemental. Seront donc particulièrement révélateurs le statut et les moyens concrets qui seront reconnus au Haut représentant pour la PESC.
Sur l’abandon de l’obligation constitutionnelle d’un référendum lors de prochains élargissements de l’Union européenne, le ministre a réservé sa réponse soulignant que la décision ne lui appartient pas, mais il semble que l’idée soit effectivement à l ‘étude.