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La France doit revoir son moratoire sur le maïs génétiquement modifié MON 810


En janvier 2008, la France avait décidé un moratoire sur le maïs génétiquement modifié MON 810.

Trois ans plus tard, la Cour de Justice de l’Union européenne invalide ce moratoire car il est contraire au droit communautaire. Ce qui ne signifie pas que la France ne peut pas interdire le maïs Monsanto. Elle doit tout simplement le faire sur une autre base légale que celle qu’elle avait choisie.

Explications.

L’article 23 de la directive 2001-18 du 12 mars 2001 (directive du 12/03/2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement), permet aux Etats de prendre des mesures d’urgence et de limiter ou d’interdire, à titre provisoire, l'utilisation et/ou la vente d’un OGM autorisé conformément à la réglementation communautaire, si des informations nouvelles ou complémentaires devenues disponibles après l’autorisation font apparaître un risque pour la santé ou l’environnement. La France avait invoqué cette disposition pour mettre en place le moratoire sur le maïs OGM de Monsanto, c’est à dire interdire provisoirement sa culture.

Monsanto et d’autres sociétés productrices de semences avaient formée un recours en annulation devant le Conseil d’état contre les arrêtés ministériels qui instauraient ce moratoire. Mais le Conseil d’état avait sursis à statuer pour poser à la Cour de Justice de l’Union européenne la question de savoir si des mesures d’urgence pouvaient être arrêtées par la France sur le fondement de la directive 2001/18 ou si elles devaient l’être sur celui des règlements 1829/2003 (règlement du 22/09/2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés) et 178/2002 (règlement du 28/01/2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires). La différence n’est pas anodine : alors que la directive 2001/18 permet à l’état membre, de prendre les mesures d’urgence de sa seule initiative et directement, les règlements 1829/2003 et 178/2002 imposent une procédure plus lourde et plus contraignante pour l’état qui doit avant de prendre les mesures, informer officiellement la Commission de leur nécessité. La Commission a alors la possibilité de prendre elle-même des mesures d’urgence d’interdiction ou de limitation de la commercialisation, en vertu de l’article 53 178/2002. Si elle ne fait rien, l’état peut alors adopter les mesures qu’il envisageait à titre conservatoire mais il doit aussi en informer « immédiatement » la Commission ainsi que les autres états membres (article 54 du règlement 1829/2003)  S’ouvre alors un délai de dix jours durant lequel la Commission peut avec les états, modifier ou interdire les mesures nationales conservatoires.

Dans son arrêt du 08/09/2011 (CJUE, 08/09/2011, aff.jointes C-58/10 à C-68/10, Monsanto SAS e.a), la Cour juge que le moratoire aurait du être adopté sur la base des règlements 1928/2003 et 178/2002. En ne le faisant pas, les autorités françaises ont privé les mesures prises de base légales. Elles seront donc annulées par le Conseil d’état lorsque l’affaire reviendra devant lui, car il est lié par l’interprétation de la Cour.

La Cour précise également les conditions de fond qui doivent être respectées par les mesures nationales , en rappelant que l’article 34 du règlement 1829/2003 dispose que les États membres doivent démontrer l’urgence à agir et l’existence d’une situation susceptible de présenter de toute évidence un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Selon le juge communautaire, « les expressions «de toute évidence» et «risque grave» doivent être comprises comme se référant à un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Ce risque doit être constaté "sur la base d’éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables » (considérant 76) et non sur « une approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées » (considérant 77). Et, pour faire bonne mesure la Cour ne se prive pas de rappeler que si la légalité des mesures d’urgence prises par les états doivent être appréciées par les juridictions nationales, celles-ci sont tenues par les décisions prises au niveau communautaire. En d’autres termes, du moment que « l’évaluation et la gestion d’un risque grave et évident relève, en dernier ressort, de la seule compétence de la Commission et du Conseil, sous le contrôle du juge de l’Union » (considérant 78), lorsqu’une décision a été adoptée au niveau de l’Union, les appréciations de fait et de droit contenues dans cette décision s’imposent à tous les organes de l’État membre destinataire d’une telle décision, y compris ses juridictions amenées à apprécier la légalité des mesures adoptées au niveau national.

Ces précisions font office de vade mecum pour le Gouvernement français qui a déjà annoncé qu’en cas d’annulation des arrêtés par le Conseil d’Etat (ce qui est probable puisqu’on l’a vu, l’interprétation de la Cour s’impose au juge national), il prendra de nouvelles mesures pour suspendre la culture du maïs MON 810. Concrètement, tant que le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé les arrêtés incriminés sont applicables. Cela peut prendre plusieurs mois avant qu’il ne le fasse compte tenu des délais de la justice administrative ce qui laisse au gouvernement français le temps de préparer et d’adopter un nouvelle réglementation d’interdiction, cette fois conforme au droit communautaire.

Mais cette interdiction sera-t-elle validée à Bruxelles ? La bataille risque d’être rude. La Commission européenne a autorisé la culture de ce maïs OGM (ainsi que la pomme de terre Amflora) et est soupçonnée de prêter une oreille complaisante aux arguments des lobbies de l’agroalimentaire. Le même soupçon pèse sur l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA selon le sigle anglais) sur les évaluations de laquelle sont fondées les décisions européennes d’autorisation ou d’interdiction de la culture ou de la commercialisation d’OGM dans l’Union européenne. L’indépendance de cet organisme par rapport aux lobbies des producteurs d’OGM est régulièrement mise en cause  (voir par exemple,l'article de José Bové Pour restaurer son indépendance, l'EFSA doit démettre Madame Banati de ses fonctions ou encore le dossier des amis de la terre : OGM et Agence européenne : La prudence jetée aux orties).

En 2008, le Conseil a demandé à la Commission une réforme des règles d’évaluation des OGM, ce qui démontre bien qu’elle posent problème. Mais la Commission ne se presse pas et n’a toujours pas soumis de proposition. En l’absence d’une base juridique communautaire incontestable permettant aux états d’interdire la culture d’OGM (une proposition est en cours d’examen) le gouvernement français aura donc fort à faire pour démontrer « l’urgence à agir et l’existence d’une situation susceptible de présenter de toute évidence un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement ».

Pas de quoi rassurer les agriculteurs « traditionnels » inquiets des risques de contamination de leurs cultures par des OGM cultivées dans le voisinage, risques réels comme le montrent les déboires des apiculteurs.

Domaguil

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