Le brexit (3): Perspectives
La date du referendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne a été fixée au 23 juin 2016, ce qui donnait un peu plus de deux mois pour la campagne. La question posée est: « le Royaume-Uni devrait-il rester membre de l’Union européenne ou quitter l’Union européenne? » et les électeurs auront donc le choix entre deux bulletins de vote: « rester membre de l’Union européenne » ou « quitter l’Union européenne ».
Un résultat peu lisible
Peu lisible dans sa forme, l’"arrangement" intervenu entre l'Union européenne et le Royaume-Uni au terme des négociations, est aussi un contournement des procédures communautaires reposant sur un acte interétatique contraignant, qui exprime la seule volonté des états, et ne relève pas du droit de l’Union européenne, mais du droit international. Ce qui, concrètement, signifie que la décision échappe à la compétence de la Cour de justice de l’UE et ne pourra pas être contestée par un recours en annulation devant cette juridiction. De même, elle n’a pas fait l’objet de débat parlementaire. Le recours à cette procédure „simplifiée“ permet aussi, et surtout, d’éviter les écueils de la révision des traités, procédure beaucoup plus longue et plus incertaine quant au résultat. Le texte affirme d’ailleurs que „le contenu de la décision est pleinement compatible avec les traités“. Mais il s’agit tout de même d’un tour de passe passe contestable juridiquement. La preuve en est donnée par le Conseil lui-même lorsqu’il s’engage à ce que deux questions au moins soient l’objet de révisions ultérieures des traités. Le contenu de la décision n’est donc pas si compatible avec les traités! Bref: pas de révision des traités (trop risquée) pour le moment. Elle aura lieu plus tard…éventuellement.
Enfin, l’importance des modifications censées être apportées ne peut pas être vraiment appréciée dans la mesure où certaines déclarations impliquent de changer à l’avenir les règles communautaires en vigueur, ce qui comporte d’importants aléas et, finalement aucune certitude que ce changement s’appliquera.
En d’autres termes, le contenu des concessions obtenues par le Royaume-Uni est, non seulement, moins important que ce qui était demandé (mais c’est inévitable dans une négociation), mais il n’est pas assuré. C’est donc une vision de court terme qui, à l’évidence, a prévalu au Conseil européen.
Ce résultat médiocre est cependant, grâce à son ambiguïté et à ses zones d‘ombre, présenté par les deux camps comme satisfaisant.
Ainsi David Cameron se targue-t-il d’avoir obtenu ce qu’il demandait (le „meilleur des deux mondes“) et défendu un Royaume-Uni fort dans une Union européenne réformée. L‘emphase des propos ne correspond pas à la réalité. De leur côté, les autres dirigeants européens ont affiché leur contentement d’être parvenus à un accord. Les commentaires sont prudents (il ne faut pas compromettre les chances de M.Cameron de gagner la campagne referendaire en donnant du grain à moudre aux eurosceptiques) mais les concessions faites ne sont évidemment pas présentées de la même manière. Pour Angela Merkel, par exemple, «C’est un compromis équitable“ et les 27 autres membres de l’Union n’ont «pas fait trop de concessions à la Grande-Bretagne“. Le Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, estime quant à lui que l’accord „respecte les grands principes de l'Union européenne“.
Des conséquences imprévisibles
Les conséquences d’un brexit donnent lieu à de nombreuses hypothèses souvent très différents qu’elles concernent les conséquences pour le Royaume-uni ou les conséquences pour l’Union européenne.
Le premier danger concerne les échanges commerciaux. Sortir de l’UE impliquerait de conclure de nouveaux accords avec l’Union et avec une cinquantaine de pays tiers, rappelle la page du Gouvernement anglais. Selon ce dernier, contrairement aux prévisions optimistes des pro brexit, il n’est pas du tout acquis que le Royaume-Uni arrive à renégocier à des conditions avantageuses (pour éviter des obstacles à l’entrée de ses produits et services sur le marché intérieur européen).
On peut penser que sur ce point il a parfaitement raison.
Or, il suffit de rappeler pour comprendre qui aurait le plus à perdre, qu’en 2014, 51,4% des exportations de biens du Royaume-Uni étaient réalisés vers le marché communautaire alors que l’Union n’exportait que 6,6% de sa production vers le Royaume-Uni. Il est évident, dès lors, que l’Union pourrait être moins pressée que le Royaume-Uni de renégocier les modalités des échanges commerciaux car, tout simplement, elle y a moins intérêt. Les discussions pourraient s’éterniser au préjudice des exportateurs britanniques, pour un résultat qui ne serait pas forcément aussi avantageux que celui qui résulte d’être membre de l’Union européenne. Par ailleurs, le rétablissement des barrières aux échanges renchérirait les prix que paie le consommateur britannique. Le Royaume-Uni ne pourra pas compter sur l’indulgence de l’Union qui ne lui facilitera certainement pas l’avenir sans elle. D’abord parce qu’un vote contre le maintien dans l‘Union sera vu comme un acte d’hostilité par les autres pays membres et leurs citoyens, ensuite parce que l’Union, déja malmenée et contestée, ne pourra envoyer le message qu’un pays pourrait ainsi lui tourner le dos sans mesures de représailles. Le climat d’incertitude qui suivra une éventuelle décision de brexit ne sera pas propice à l’investissement au Royaume-Uni.
C’est pourquoi les probrexit ne sont pas réalistes lorsqu’ils veulent minorer l’impact d’une sortie de l’Union européenne sur les échanges commerciaux et donc la santé économique du Royaume-Uni et lorsqu’ils affirment que l’Union aura tout aussi intérêt que le Royaume-Uni à conclure rapidement de nouveaux accords avec ce dernier une fois qu’il sera sorti du marché intérieur
Les économistes, comme les deux camps, pro et anti brexit s’efforcent de mesurer l’impact d’une sortie de l’Union pour crédibiliser leurs arguments. Mais le moins que l’on puisse dire est que les chiffres divergent. Pour le Gouvernement anglais, une sortie de l’Union causerait un préjudice important et permanent à l’économie britannique qui pourrait être en chute de 6% en 2030 ce qui représenterait une perte de revenu annuel de 4 300 livres sterling pour chaque foyer. Le think thank très libéral „Open Europe“ est moins alarmiste en estimant que la perte de croissance pourrait être de 2,2% en 2030 si le Royaume-Uni, une fois sorti de l’Union, échouait à trouver un accord avec elle ou optait pour des mesures protectionnistes. Cependant la croissance pourrait augmenter au contraire de 1, 6% si le Royaume-Uni parvenait à obtenir des accords de libre échange satisfaisants (pour lui) avec l’Union et le reste du monde et s’il mettait en oeuvre au plan interne une politique résolue de dérégulation tous azimuts. Evidemment, remarquent les auteurs du rapport, cette option ultra libérale sans laquelle le brexit ne pourra être un succès, pourrait „se heurter, dans la pratique, à une certaine et sérieuse résistance politique à l’intérieur du pays lui-même“. Effectivement. Pour l’OCDE, enfin, „Le choc que subirait le niveau de vie équivaudrait dans les faits à un « impôt Brexit » permanent prélevé sur les ménages“.
Face à cette avalanche de chiffres alarmistes, les arguments des probrexit semblent un peu limités lorsqu’ils affirment que l’économie que le Royaume-Uni réalisera en ne contribuant plus au budget de l’UE compensera d’autant les pertes économiques. Mais selon le rapport du Center for European Reform cette économie permettrait de réaliser un gain de 0,5% de PIB. Et les anti brexit remarquent que ce gain sera anéanti par les taxes qui s’appliqueront aux produits britanniques pour qu’ils puissent accéder au marché intérieur.
Les pro brexit sont plus convaincants en revanche lorsqu’ils dénoncent une campagne anti brexit fondée sur la peur. C’est bien le problème: faute de pouvoir emporter l’adhésion des britanniques à l’aventure de l’intégration européenne, les partisans du maintien ne peuvent qu’agiter l’épouvantail d’un avenir difficile si le Royaume-Uni se retrouve isolé.
Domaguil