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Comment ça marche? - Page 4

  • Le juge français et le droit communautaire (suite)

    Dans une note précédente, j’expliquais comment le Conseil Constitutionnel refuse de contrôler la conformité d’une loi à une règle communautaire.

     

    Faut-il en conclure que la loi française peut violer impunément le droit communautaire ?

     

    Non, bien sûr ! A quoi servirait le droit communautaire si les états restaient libres d’adopter et d’appliquer des législations qui seraient en contradiction avec lui ?

     

    L’article 55 de la Constitution française précise que les traités et engagements internationaux ont une force supérieure à celle de la loi, à partir du moment où ils ont été régulièrement ratifiés et publiés. Dans le cas du droit communautaire, cette règle est renforcée par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui dès 1964 a affirmé le principe de la primauté du droit communautaire sur le droit national. Cela signifie que les traités européens (qui constituent le droit communautaire primaire) comme les textes pris pour leur application (règlements, directives, etc… que l’on appelle droit communautaire dérivé) s’imposent au législateur français. Si une loi les méconnaît elle doit être purement et simplement écartée. Le principe s’applique, a fortiori, aux normes juridiques inférieures, à savoir celles qui sont de nature réglementaire (ex : décrets, règlements d’application des lois).

     

    Comme le Conseil constitutionnel refuse de faire ce travail de vérification, ce sont le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation qui s’y attellent. Non sans avoir traîné les pieds d’ailleurs. Le Conseil d’Etat, par exemple,  a longtemps défendu une conception nationale (nationaliste ?) du droit . Par des artifices divers qui font les délices des étudiants en droit administratif (ou les désespèrent), il s’arrangeait pour n’avoir jamais à se prononcer sur la validité d’une loi au regard du droit communautaire, lorsqu’il s’agissait d’une loi postérieure.  Cette résistance avait fini par être perçue comme de l’obstruction, d’autant plus que l’autre juridiction suprême, la Cour de cassation avait accepté en 1975 (arrêt Jacques Vabre) de ne pas appliquer une loi contraire au droit communautaire dans le litige qui était porté devant elle. Finalement,  en 1989 (arrêt Nicolo), le Conseil d’Etat a mis fin à sa guerre de tranchées en acceptant de reconnaître la supériorité d’une disposition des traités européens sur une loi postérieure, puis, un an plus tard,  en reconnaissant cette supériorité à des directives et des règlements.

     

    Pour savoir comment cela se concrétise, prenons un exemple (pour changer, autre que celui, traditionnel, de l’importateur empêché de commercialiser des produits en violation de la libre circulation des marchandises).

     

    Supposons donc, qu‘éducateur dans un établissement pour handicapés, vous ayez un différend avec votre employeur qui refuse de compter intégralement vos heures de garde de nuit comme temps de travail au motif qu’un décret prévoit un système d’heures d’équivalence qui conduit à ne décompter comme temps de travail  qu’une partie des heures de surveillance nocturnes effectuées. Cette divergence de vues s’est soldée par votre licenciement. Appuyé par votre syndicat, vous contestez la validité du décret et en demandez l’annulation devant le Conseil d’Etat, juge compétent en la matière, en invoquant son incompatibilité avec la directive communautaire  sur l’aménagement du temps de travail (directive 93/104 devenue directive 2003/88). Celle-ci fixe notamment une durée hebdomadaire maximale  de travail (48 heures,  heures supplémentaires comprises ), durée largement dépassée dans votre cas (60 heures si les gardes nocturnes sont intégralement comptées).

     

    Mais il se peut que le Conseil d’Etat ait des doutes sur l’interprétation des dispositions de la directive. Dans ce cas,  il renvoie la question à la Cour de justice des Communautés européennes. Il n’y est pas obligé d’ailleurs et ne le fera pas dans deux hypothèses : soit la Cour de justice s’est déjà prononcée sur une question identique, soit il n’y a pas de « doute raisonnable » quant à l’interprétation de la directive  (ce qui laisse au juge national une assez grande liberté d’appréciation  sur la nécessité du renvoi, liberté  que le Conseil d’Etat ne s’est pas privé d’utiliser durant sa période de « résistance »).

     

    Le renvoi à la Cour de justice des Communautés européenne est dit « préjudiciel » car, tant qu’elle ne s’est pas prononcée sur la question posée, le règlement du litige principal, c’est-à-dire, en l’occurrence,  la question de l’annulation ou non du décret contesté, est suspendu. Un à deux ans après, la réponse de la Cour de justice des communautés européennes arrive et, victoire, l’interprétation donnée va dans le sens de votre argumentation :  le temps qui n’est pas de temps de repos doit être effectivement considéré comme du temps de travail, que la personne travaille activement ou soit en veille, prête à intervenir. Le Conseil d’Etat en tire les conséquences et annule le décret qui vous était défavorable (si une loi avait été en cause, elle aurait simplement été déclarée inapplicable au litige, mais non annulée, cela n’étant pas de la compétence du juge administratif, ni judiciaire). Si vous avez subi des préjudices, vous pouvez à présent être indemnisé et tenter une action en rappel de salaires sur la base d'un calcul du temps de travail conforme aux règles définies par la Cour de Justice des Communautés Européennes. Cerise sur la gâteau : vous avez la satisfaction d’avoir oeuvré pour la cause des travailleurs !

     

    Le renvoi préjudiciel allonge évidemment les délais de procédure, mais c’est « pour la bonne cause » : assurer une interprétation uniforme du droit communautaire sous la supervision de la Cour de justice des Communautés et veiller ainsi à ce que le droit communautaire soit respecté. 

     

    Mais que se passe-t-il si des juridictions nationales rendent des arrêts en contradiction avec le droit communautaire ? A suivre dans une prochaine note…

     
  • Le juge français et le droit communautaire (retour sur la décision du Conseil Constiutionnel du 30/03/2006, loi pour l’égalité des chances)

    Un visiteur m’a suggéré de faire une mise à jour sur le CPE pour expliquer la décision du Conseil Constitutionnel du 30/03/2006.

    Bonne idée. Donc, nouveau retour, en forme d’épilogue, sur le CPE.

     

    Tout d’abord, un bref rappel des circonstances de la saisine du Conseil : gardien de la Constitution, le Conseil est chargé de  contrôler que les lois votées sont conformes à ses dispositions. Ce contrôle s’effectue dans le cadre de la procédure prévue par l’article 61 de la Constitution .

    Seules peuvent faire l’objet du contrôle les lois non promulguées (donc non encore applicables) qu'il s'agit en quelque sorte de tuer dans l'oeuf si elles sont  en contradiction avec la Constitution. Le droit de saisir le Conseil est réservé au Président de la république, au Premier Ministre, au Président de l’Assemblée Nationale, au Président du Sénat ainsi qu’à  60 députés ou 60 sénateurs (depuis une révision de 1974). Quid du citoyen, vous et moi ? Eh bien, les portes de l’auguste juridiction nous sont fermées ce qui signifie que si une loi viole nos droits fondamentaux et que l’une des autorités désignées par l’article 61 a « oublié » de saisir le Conseil, tant pis : l’application de la loi ne peut plus être écartée pour non conformité à la Constitution (situation anormale dans un état de droit… mais ce n’est pas le sujet de cette note) .

    Dans ce que j'appellerai « l’affaire du CPE », l’opposition parlementaire a saisi le Conseil pour qu’il examine la conformité à la Constitution des articles 8, 21, 48, 49 et 51 de la loi pour l’égalité des chances, l’article 8 étant celui qui créait le désormais « feu CPE ».

    Durant la période de suspense insoutenable qui a précédé la décision, les pronostics sont allés bon train et on a entendu de nombreux commentateurs affirmer que vraisemblablement le Conseil constitutionnel allait invalider la disposition créant le  CPE. On nous a expliqué, notamment, que  la procédure n’avait pas été respectée (amendement déposé par le Gouvernement  en cours de discussion  à l’Assemblée, absence de consultation du Conseil d’Etat…), que  le CPE était contraire au principe constitutionnel d’égalité (discrimination envers les moins de 26 ans), que les règles internationales et communautaires avaient  été violées, ou encore, et c’est l’explication qui m’a le plus divertie, que le Conseil étant à la solde du gouvernement, il allait déclarer non conforme l’article 8 afin de ménager  à celui-ci une sortie de crise honorable (mais c’était ignorer que le Conseil constitutionnel, bien que ses membres soient désignés par les autorités de l’Etat, a  mis un point d’honneur à affirmer son indépendance comme le prouvent diverses décisions qu’il a prises).

     

    Pour ce qui est de  l’argument tiré de la violation des règles internationales, le seul que j’évoquerai ici, pour rester dans l’objet de ce blog, le Conseil a opposé une fin de non recevoir se refusant à l’examiner au motif qu’ «  il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un accord international ». 

    Car le  rôle du Conseil, tel qu'il résulte de la Constitution, est de contrôler la conformité de la loi à la Constitution ou de contrôler  la "compatibilité" de la Constitution avec un engagement international (par exemple, l’an dernier, avec le traité constitutionnel européen) . Mais s'il s'agit de contrôler la conformité d'une loi à un engagement international, ce n'est plus de la compétence du Conseil constitutionnel  mais de celle de la Cour de cassation ou du Conseil d'Etat. On appelle cela le contrôle de "conventionnalité" par opposition au contrôle de "constitutionnalité".

    Cette solution vaut pour le droit communautaire. Elle est cependant appliquée moins strictement  lorsqu’est en cause la validité d’une loi transposant une directive européenne. Dans sa décision  no 2004-496 DC du 10 juin 2004, loi pour la confiance dans l’économie numérique , le Conseil a accepté de contrôler la conformité d’une loi à une directive européenne, parce que la loi en question transposait cette directive et que la transposition en droit français d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle (article 88-1 de la Constitution). Donc une loi de transposition d’une directive ne pouvait être en contradiction avec celle-ci sans violer de ce fait  l’article 88-1 de la  Constitution. Ce qui est rappelé dans le considérant 28 de la décision du 30/03/2006 :  « Considérant, d'autre part, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 88-1 de la Constitution : " La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences " ; que, si la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la compatibilité d'une loi avec les dispositions d'une directive communautaire qu'elle n'a pas pour objet de transposer en droit interne ».

     

    La transposition d'une directive en droit interne est donc  seule hypothèse dans laquelle le Conseil accepte de confronter une loi à une règle communautaire et encore le fait-il de façon très prudente pour ne pas risquer un conflit d’interprétation d’une norme communautaire avec la Cour de justice des Communautés européennes, seule compétente pour interpréter les textes de droit communautaire.

     

    Mais au fait, si le Conseil constitutionnel n'est pas compétent, comment fait-on au juste pour contester une loi contraire au droit communautaire? La suite dans une prochaine note....