Pendant que l’on glose sur la crise de l’Union européenne, le Parlement européen et la Cour de justice des Communautés européennes s’affirment comme des institutions avec lesquelles il faut compter.
Le Parlement européen vient de se rappeler au bon souvenir des états et de la Commission à l’occasion de deux votes récents du 18 /01 /2006 .
Tout d’abord en rejetant, le 18/01/2006, les perspectives financières adoptées par le Conseil. Selon le Parlement, ni le niveau global des ressources ni celui des dépenses n’est suffisant pour donner à l’Union européenne les moyens d’assurer « la prospérité, la compétitivité, la solidarité et la cohésion ». Etablir le niveau des ressources de l’Union à 1,04 % du PIB communautaire, c’est au dessous de ce que souhaitaient les eurodéputés (dans sa résolution de juin 2005 le Parlement demandait 1,18%). Les dépenses pour la recherche, l’éducation et la politique étrangère sont également jugées très insuffisantes. La fronde des députés européens contraint le Conseil à négocier avec le Parlement, aucune décision sur les perspectives financières n’étant possible sans l’accord de ce dernier. Compte tenu des tractations laborieuses au Conseil, le Parlement s’est déclaré prêt (par la voix de son Président Josep Borell) a avoir une attitude à la fois ferme et positive, ce qui laisse la porte ouverte à un accord.
Le rejet de la proposition de directive de libéralisation des services portuaires a été un second coup d’éclat du Parlement, largement médiatisé en raison de la violence des manifestions des dockers le jour de l’examen du texte. Ce rejet était pourtant prévisible, le Parlement s’étant déjà opposé en 2003 au projet de directive qui prévoit, notamment, le principe d'auto-assistance grâce auquel, dans certains cas, les armateurs seraient autorisés à utiliser leur propre personnel pour charger ou décharger les navires. Ce qui a suscité l’ire du Parlement est le fait que la proposition revenue devant lui est quasiment inchangée par rapport au projet initial. Dans un communiqué du 18 /01/2006, ironiquement intitulé : « Services portuaires : le "2e paquet" reste à quai », le Parlement explique que l’absence de prise en compte des amendements parlementaires par la Commission a justifié le rejet massif du texte.
A un moment où le déficit démocratique de l’Union est souvent pointé, la volonté du représentant des peuples d’exercer son pouvoir ne soulève pas de contestation.
La montée en puissance de la Cour de justice des Communautés européennes est en revanche plus critiquée, comme l’ont montré les réactions à un arrêt récent de la Cour.
Dans son arrêt du 13/09/2005 (aff.176/03, Commission européenne c.Conseil de l'Union européenne), la Cour a donné satisfaction à la Commission, garante de l’intérêt communautaire, contre le Conseil, expression des intérêts des états, en reconnaissant à la première agissant au nom de la Communauté, le droit de prévoir des sanctions pénales pour faire respecter la législation communautaire.
Le traité sur l'Union européenne (Traité de Maastricht de 1992) , dispose que la coopération policière et judiciaire en matière pénale ne relève pas du premier pilier (communautaire) mais du troisième pilier , (intergouvernemental). Or dans les matières du troisième pilier, la Commission n’a pas le monopole d’initiative (les états peuvent aussi proposer des textes qui sont appelés décisions-cadres), le Conseil vote les décisions sans le Parlement européen qui est seulement consulté, et enfin, la Commission ne peut pas poursuivre les états qui n’appliquent pas une décision. C’est pourquoi il existe une tension entre la Commission et le Conseil, la première voulant « communautariser » autant que faire se peut les questions pénales, le second s’y proposant.
Soutenue par le Parlement, la Commission a attaqué devant la Cour une décision-cadre qui prévoyait de sanctionner pénalement certaines infractions à l'environnement du Conseil, au motif que la décision cadre n’était pas l’instrument juridique approprié. Et la Cour lui a donc donné raison dans son arrêt du 13/09/2005. La Cour de justice admet qu’en général, la législation pénale est une compétence des états. Mais, ajoute-t-elle, le législateur communautaire doit pouvoir prendre des mesures pénales lorsqu’il s’agit de garantir l’application effective des textes qu’il édicte dans les domaines de sa compétence comme c’est le cas de la protection de l’environnement.
Cet arrêt a fait et continue de faire couler beaucoup d’encre. Dans une proposition de résolution adoptée le 25/01/2006, la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne déplore « les incertitudes juridiques engendrées par cet arrêt , en ce qui concerne notamment son application éventuelle à d’autres matières que la protection de l’environnement et le libre choix des sanctions pénales applicables laissé aux Etats membres ». Plus radicaux, les souverainistes ont dénoncé un transfert de compétences de la législation pénale, non prévu par les textes, au bénéfice de la Commission. Enfin, récemment, le Chancelier autrichien Wolfgang Schüssel (Président en titre de l’Union depuis le 1er janvier) a estimé que les juges européens ont systématiquement étendu leurs compétences à des domaines extérieurs au droit communautaire, au mépris du respect des compétences des états. Ces critiques ont été reprises par d’autres dirigeants européens, dont le premier ministre danois, inquiets de voir le développement de la coopération européenne se faire par le droit et non pas par des décisions politiques. On n’est pas loin de la dénonciation d’un « gouvernement des juges ».
La montée en puissance parallèle de la Cour et du Parlement européen, leur alliance objective avec la Commission, contre le Conseil montrent que l’intégration européenne se poursuit . Mais si l’intégration par le droit est souhaitable et est un phénomène bien connu, elle doit être adossée à une volonté politique pour être acceptable.