Diverses banques françaises ont saisi la Commission européenne d'une plainte pour atteinte à la concurrence du fait du droit spécial détenu par la Poste de distribuer le livret A, compte d’épargne dont les intérêts sont exonérés d’impôt. Sont également mis en cause les compensations et droits spéciaux octroyés par l’état français à différents organismes (Crédit Mutuel , La Poste, Caisses d’Epargne) qui distribuent le livret bleu , produit bénéficiant également d’une fiscalité avantageuse, afin d’attirer l’épargne qui permettra de financer notamment le logement social. La Poste, les Caisses d’Epargne et le Crédit Mutuel transfèrent les sommes collectées à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) qui leur verse une commission en contrepartie.
Trois français sur quatre possèderaient ce type de placement, ce qui explique l’intérêt des banques pour ces produits qu’elles voudraient bien pouvoir distribuer, d’autant plus qu’ils jouent un rôle de produit d’appel permettant de distribuer des placements plus sophistiqués comme les SICAV sur lesquels les marges sont plus importantes.
La Commission européenne doit élucider deux questions : ces droits spéciaux qui confèrent un monopole aux organismes en question ne constituent-ils pas des obstacles à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services garanties par les articles 43 et 49 du traité instituant la Communauté européenne ?.Les compensations qui procurent aux organismes en cause un avantage concurrentiel par rapport aux banques, ne sont-elles pas des aides interdites par les règles du droit communautaire de la concurrence ?
Pour répondre à ces questions, la Commission européenne a adressé à la France le 7/06/2006, deux décisions concernant les conditions de distribution des livrets A et bleu.
La première ouvre une enquête pour déterminer si la compensation par l’état du service rendu par le Crédit Mutuel de 1991 à 2005 pourrait être exagérée (au delà des charges réelles occasionnées par la distribution du livret bleu) et donc être contraire à l’article 87 du traité qui interdit les aides faussant la concurrence.
Les autorités françaises vont devoir s’expliquer auprès des services de la Commission. En cas d’aide illégale avérée, celle-ci devrait être remboursée par le Crédit Mutuel. Par cette procédure la Commission revient à la charge dans un dossier ancien : en 2002, elle avait ordonné au Crédit mutuel de rembourser 164 millions d’euros d’aides illégales, décision annulée par la suite par le Tribunal de Première Instance des Communautés européennes pour défaut de motivation (TPI, 18/01/2005, aff.T-93/02, Confédération nationale du Crédit mutuel et république françaises c/ Commission européenne).
La seconde procédure est le départ d’une procédure d’infraction relative aux droits spéciaux accordés pour les livrets A et bleu qui pourraient être contraires aux articles 43 et 49 du traité sur la Communauté européenne. La Commission considère que ces droits spéciaux en créant un monopole au bénéfice de quelques organismes « rendent moins attractifs une implantation en France pour offrir des produits d’épargne liquide aux particuliers et … empêchent des établissements de crédits d’autres Etats membres de proposer ce service à leurs clients et d’être rémunérés en contrepartie par la CDC ».
Des motifs d’intérêt général pourraient justifier ces restrictions aux libertés d’établissement et de prestation de services, mais la Commission doute qu’ils existent en l’occurrence car les droits spéciaux apparaissent bien supérieurs aux frais engendrés par la gestion et la distribution des livrets A et bleu. Dès lors, les droits spéciaux ne se justifient pas, observe la Commission, puisqu’ils « ne paraissent nécessaires ni à la préservation de leurs caractéristiques pour les particuliers, ni à l’objectif de financement du logement social ». Il s’agira certainement d’un des points débattus entre la Commission et les autorités françaises. Celles-ci ont deux mois pour répondre aux demandes d’explication de la Commission. Les banques plaignantes seront également entendues.
La procédure engagée pourrait avoir des conséquences néfastes pour la Banque Postale qui n’a pas les « reins assez solides » pour voir amputée la manne que représentent les commissions sur la collecte des livrets si le monopole était condamné et que d’autres opérateurs venaient lui faire concurrence.
En revanche, les particuliers ne seraient pas affectés par une éventuelle décision d’infraction de la Commission . Ce qui est en cause dans ce dossier c’est la possibilité pour d’autres établissements de distribuer les livrets A et le livret bleu, non de supprimer ceux-ci ni de modifier les avantages que les épargnants peuvent en retirer.