HADOPI contre amendement 46, la suite
En France le feuilleton HADOPI (Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet, prévue par le projet de loi « création sur internet ») occupe les medias et touche à sa fin avec le vote imminent de la loi.
Au niveau de l’Union européenne, les rebondissements se succèdent aussi. On se souvient que le dispositif de « riposte graduée » prévu par le projet de loi était contredit par le projet « paquet telecom » actuellement en discussion au Parlement européen et plus précisément par un des amendements votés. Cet amendement (amendement 138) voté en 1ère lecture précisait qu'il ne pouvait être apporté de restrictions « aux droits et libertés fondamentaux des utilisateurs finaux sans décision préalable des autorités judiciaires, notamment conformément à l'article 11 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne concernant la liberté d'expression et d'information, sauf lorsque la sécurité publique est menacée, auquel cas la décision peut intervenir ultérieurement ». Or, le projet de loi français prévoit que les internautes téléchargeant illégalement seront avertis qu’ils s’exposent à des sanctions par la Haute Autorité de régulation. Ils recevront deux avertissement successifs aux termes desquels, s’ils n’en n’ont pas tenu compte, ils seront sanctionnés par une suspension de l’abonnement internet pouvant aller jusqu’à un an, assortie de l’interdiction de se réabonner pendant la même durée auprès de tout autre opérateur.
Le 22/04/2009, les eurodéputés membres de la commission "industrie, recherche et énergie" du Parlement européen ont adopté l’amendement 46 qui reprend certains termes de l’amendement 138. Mais sa version actuelle contient des différences qui laissent perplexes les commentateurs, dont certains parlent de recul du Parlement européen.
Pourquoi ?
Sur les garanties des droits des internautes l’amendement 46 prévoyait initialement : "f ter) en appliquant le principe selon lequel aucune restriction ne peut être imposée aux droits et libertés fondamentaux des utilisateurs finaux sans décision préalable des autorités judiciaires, notamment conformément à l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne concernant la liberté d'expression et d'information, sauf lorsque la sécurité publique est menacée, auquel cas la décision peut intervenir ultérieurement." .
A la suite de négociations avec le Conseil, l’amendement 46 a été retoqué et reformulé.
- Première différence : là où il était question d’autorités judiciaires, il est désormais question de « tribunal indépendant et impartial établi par la loi et agissant dans le respect du procès équitable en conformité avec l'article 6 de la Convention (européenne) de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». Difficile de voir un recul dans cette nouvelle formulation. Certains comme l’eurodéputé vert Alain Lipietz considèrent même qu’elle apporte une protection plus forte (voir sa démonstration étayée et argumentée sur la base de l’article 6 de la CEDH).
- Deuxième différence : alors que l’amendement 138 et l’amendement 46 dans sa version initiale prévoyaient expressément qu’ aucune restriction ne pourrait être imposée aux droits et libertés fondamentaux des internautes sans décision préalable des autorités judiciaires, l’exigence de décision préalable a disparu dans la nouvelle rédaction. A supposer qu’HADOPI soit assimilée à un « tribunal », elle pourrait donc couper la connexion internet….mais à condition de respecter les conditions posées dans l’article 6 de la CEDH, c’est-à-dire en respectant les droits de la défense, donc après avoir entendu l’internaute. Il ne pourrait donc pas y avoir coupure avant jugement. Là encore, l’analyse d’Alain Lipietz est claire et plutôt convaincante.
Je signale cependant qu'elle n’est pas partagée de tous.
Ainsi, la Quadrature du net, estime que « L'HADOPI reste tout aussi incompatible avec la nouvelle formulation qu'elle l'était avec l'ancienne ». Mais, elle s’inquiète de la disparition de l’exigence de décision préalable qui selon elle signifierait que l’internaute devrait se lancer dans une procédure pour faire reconnaître son droit car « alors que l'énoncé orginal rendait immédiatement obligatoire l'implication de l'autorité judiciaire, on devra recourir à de longues procédures devant les tribunaux européens pour obtenir la confirmation que l'HADOPI ne respecte pas le droit à un procès équitable ».
Le débat n’est pas clos puisqu’il faut à présent que le Parlement européen, en séance plénière, examine et vote le texte.