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  • Libre prestation de services dans l’Union européenne pour les notaires : la fin du chacun chez soi ?

    La proposition de directive sur les services (dite "proposition Bolkestein" à l'origine), prévoyait la libéralisation de l’activité des notaires dans toute l’Union européenne. Un lobbying judicieux de la profession eut pour conséquence de l’exclure du champ d’application de la directive.

     

     

    Qu’à cela ne tienne ! Dans un communiqué du 12/10/2006 , la Commission européenne, décidément tenace, a changé de tactique et tiré de nouvelles munitions de sa musette en annonçant la poursuite de la procédure qu’elle avait lancée pour que la condition de nationalité soit abolie, ce qui permettrait d’entrebailler la porte aux notaires ressortissants d’autres états de l’Europe.

     

     

    En France, comme dans d’autres pays européens, la profession de notaire est réservée aux nationaux. Le motif invoqué est que cette activité relève de l’exercice de l’autorité publique. En France, par exemple, les notaires ont la compétence de donner force exécutoire  à certains actes ce qui permet de faire l’économie d’une décision de justice pour en obtenir l’application en cas de difficulté. Ainsi le bailleur en possession d’un contrat de location établi devant notaire pourra directement mettre en œuvre des procédures d’exécution pour contraindre le locataire à respecter ses obligations, sans avoir au préalable à se faire autoriser par un juge. Cette participation des notaires au service public de la justice justifierait une exception au principe de la liberté d’établissement prévue à l’article 43 du traité et au principe communautaire de non discrimination en fonction de la nationalité qui implique que les citoyens d’un autre pays de l’Union aient les mêmes droits et obligations que les nationaux.

     

     

    L’argument est réfuté par la Commission qui objecte que selon la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes, la participation à l’exercice de l’autorité publique doit être  « directe et spécifique » pour que l’exception soit applicable. Ce qui n’est pas le cas du notaire d’après la Commission, celui-ci ne pouvant imposer de décision contre la volonté d'une des parties qu'il conseille : « En d'autres termes, il ne tranche pas et n'exerce donc pas d'actes d'autorité au nom de l'Etat », estime-t-elle. Exit donc l’argument tiré de la participation à l’autorité publique. Quant à celui de la compétence (la profession de notaire nécessiterait un « haut niveau de qualification »), la Commission le balaie d’un revers de main en rappelant que la directive  89/48 sur le système général de reconnaissance des diplômes (que les états sont sensés avoir transposé depuis belle lurette) permet de vérifier par le test d’aptitude ou le stage la maîtrise des connaissances nécessaires en droit national. Pas d’excuse donc, pour maintenir une condition de nationalité.

     

     

    Bien que la Commission s’empresse de préciser que la suppression de la condition de nationalité n’implique pas la modification du statut des notaires et ne remet pas en cause  la compétence des Etats de réglementer la profession, la pierre dans le jardin à la française des notaires a fait réagir cette communauté d'ordinaire discrète. Dans un communiqué du 12/10, le Conseil des notariats de l’UE  apostrophe  vertement la Commission européenne  Il rappelle que dans de nombreux pays, les notaires  sont des officiers publics qui « contribuent par la délivrance des actes authentiques et leur fonction de magistrats de l’amiable au bon fonctionnement de la Justice ». L’argument de la Commission selon lequel les notaires n’exercent « pas d’actes d’autorité au nom de l’Etat » est « inacceptable » car il ne prend en compte que leur activité de conseil et « omet ainsi l’essentiel, à savoir l’exercice par les notaires du service public de l’authenticité dans 19 des 25 pays de l’Union ». Enfin, dernière remarque acide : « Les notariats de l’Union rappellent que la détermination des conditions dans lesquelles s’exerce leur délégation de puissance publique, et les effets des actes qu’ils rédigent, ne relèvent pas de la Commission, mais de la souveraineté des Etats membres. Ils s’en remettent donc aux décisions de leurs Etats en la matière ».

     

     

    Voilà la Commission prévenue : les notaires ont mis les charriots en cercle.

     

     

    Réflexe corporatiste ? Quel vilain soupçon !

     

     

    Tout de même…la position des notaires, français en particulier, semble effectivement très protectionniste, preuve en est le "forcing" auquel ils se sont livrés pour faire exclure de la libéralisation leur profession dans son ensemble et non pas seulement les activités qui correspondent à leur mission d’intérêt général. D’autre part,  le dossier va être plus difficile à plaider à présent qu’un pays comme l’Espagne dans lequel les notaires, sauf erreur de ma part, ont peu ou prou les mêmes attributions que leurs voisins français, n’impose plus la condition de nationalité (comme l’Italie et le Portugal qui y ont également renoncé récemment).

     

     

    Sur le fond, l’argument de l’exercice d’actes d’autorité au nom de l’Etat doit être examiné à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. L’arrêt Reyners  21/06/1974, aff.2/74, Reyners c.Etat belge)  précise que la dérogation au principe de liberté d’établissement ne peut profiter à une profession entière à moins que les activités que ses activités soient étroitement liées de telle manière que la libéralisation aurait pour effet d’imposer à l’État l’obligation d’admettre l’exercice, même occasionnel, par des non nationaux, de fonctions relevant de l’autorité publique. Autrement dit, les restrictions à la liberté d’établissement ne peuvent être invoquées que pour des activités et non pour une profession dans son ensemble. S’il est possible de détacher les activités contribuant à l’exercice de l’autorité publique de celles qui n’ont pas ce caractère (conseil juridique), la condition de nationalité ne peut être imposée pour les secondes.

    La Commission européenne ne semblant pas décidée à faire marche arrière, une procédure se profile à l’horizon si la France ne répond pas de manière satisfaisante (c’est-à-dire convaincante) à l’injonction de la Commission (appelée « avis motivé »). Le délai est de deux mois, après quoi la Cour de Justice des Communautés européennes pourrait être saisie pour manquement de la France à son obligation de respecter le droit communautaire.

    Domaguil  
  • Bonjour directive services, adieu directive Bolkestein

    Voilà, c’est fait : la célèbre directive sur les services dans le marché intérieur achève son parcours législatif chaotique avec la  résolution votée hier  par le Parlement européen dans laquelle il approuve la position commune précédemment votée par le Conseil des ministres de l'Union européenne.La directive va à présent revenir sur la table du Conseil pour adoption formelle, ce qui mettra fin à la procédure de codécision. On imagine mal, en effet, le  Conseil s’opposer au Parlement, puisque la résolution reprend la position commune votée par le Conseil (à l’exception de trois amendements de nature technique qui ne devraient pas rencontrer d’obstacles). Après la publication de la directive au journal officiel, les états auront trois ans pour la transposer en droit interne.

     

     

    A voir le relatif désintérêt que suscite l’annonce du vote d'hier, on oublierait presque que ce texte fut une des causes du rejet par les français du traité constitutionnel européen (avec lequel il n’avait pourtant rien à voir). Mais il est vrai que l’eau a coulé sous les ponts et que ce qui occupe le devant de la scène aujourd’hui en France est la course à l’échalotte présidentielle.

     

     

    Donc, c’est dans une absence de passion qui contraste avec le climat de l’an dernier que les eurodéputés ont donné le feu vert à une directive services il est vrai très expurgée, ceci expliquant cela. Lors du passage devant le Parlement européen  en février dernier, celui-ci avait en effet soigneusement « karchérisé » la proposition promue par l’impopulaire M.Bolkestein en la délestant de toutes les dispositions qui posaient problème, en particulier celles qui avaient été interprétées  comme une menace pour les droits des travailleurs. A la suite de quoi, la Commission européenne avait revu sa copie pour tenir compte des amendements parlementaires et présenté une nouvelle proposition au Conseil qui avait servi de base à la position commune votée en juillet.

    • Au final, le controversé « principe du pays d’origine » disparaît du texte. Cette disposition avait été interprétée, de manière souvent biaisée, comme donnant aux entreprises étrangères la faculté de travailler dans un autre pays en restant soumises aux lois de leur propre pays, et notamment en matière de salaires et de conditions de travail, ce qui avait suscité une telle polémique qu’il apparaissait plus sage de la retirer. Toujours dans le but de lutter contre les risques de dumping social, la directive précise à son article 1 que ses dispositions ne concernent pas  le droit du travail.
    • La liste des secteurs concernés par la libéralisation est plus réduite qu’elle ne l’était dans la proposition initiale. Ainsi certaines activités supplémentaires ont-elles été explicitement exclues du champ d’application comme certains services sociaux  lorsqu'ils sont assurés par l'Etat ou des prestataires mandatés par l'Etat (logement social, aide aux personnes en besoin, aide à l'enfance),  ou encore les services de soins de santé, « qu'ils soient ou non assurés dans le cadre d'établissements de soins et indépendamment de la manière dont ils sont organisés et financés au niveau national ou de leur nature publique ou privée » (article 4).
    • La prestation de services dans un autre pays est facilitée grâce à l’élimination d’obstacles administratifs. La directive prévoit, par exemple, l’institution d’un « guichet unique » qui permettra au prestataire étranger de remplir les formalités nécessaires au lieu d’avoir à traiter avec différentes administrations. Les restrictions discriminatoires c’est-à-dire préjudiciant uniquement les prestataires étrangers seront interdites (par exemple conditions fondées sur la nationalité ou la résidence).

     

     

    Avec l’adoption de cette directive c’est la proposition « Bolkestein » qui part aux oubliettes. Ce qui ne signifie pas pour autant que toutes les ambiguïtés sur sa portée réelle aient été levées.

     

     

    Et c’est pourquoi une proposition de rejet de la position commune avait été déposée par les Verts et la gauche unitaire européenne (GUE, gauche communiste). Ils dénonçaient  les modifications apportées par le Conseil au texte voté par le Parlement en première lecture le 16 février 2006. Plus précisément, trois points posent problème.

    • Le texte voté par le Parlement européen prévoyait que le contrôle de l’entreprise prestataire soit essentiellement  assuré par l’état d’accueil (article 36). La position commune du Conseil supprime cette disposition et redonne au pays d’origine un rôle majeur dans ce contrôle ce qui risque de le rendre moins efficace du fait de l’éloignement physique.
    • Si le droit du travail ne doit pas être affecté par l’application de la directive, la formulation de ce principe dans la position commune est beaucoup moins précise qu’elle ne l’était dans le texte issu du vote en première lecture (article 1). D’où l’avertissement lancé par la Confédération européenne des syndicats (CES) qui a annoncé que les syndicats  « surveilleront la bonne mise en œuvre » de la directive.
    • Enfin, l’exclusion du champ d’application de la directive  des « services d’intérêt général tels que définis par les états membres » (article 2) fait place, dans la position commune du Conseil, à une formulation plus réductrice puisque seule est évoquée l’exclusion des « services  d’intérêt général non économiques » ce qui, en l’absence d’une directive sur le statut des services publics au niveau européen, laisse à la Commission et à la Cour de Justice des Communautés Européennes le soin de définir ce qu’est « un service d’intérêt général non économique ».

     

    Mais la proposition des Verts et de la Gauche Unitaire Européenne n’a recueilli que 105 voix (dont celles du Front national et de la majorité des socialistes français) contre 405 et 12 abstentions. Les députés européens ont en effet  préféré se rallier à la position commune, estimant qu’en dépit des modifications apportées par le Conseil, elle était pour l’essentiel conforme au texte voté en première lecture.

     

    Domaguil

     

               

     

  • Jeux sans frontières : paris en ligne et libre prestation de services dans l’Union européenne

    Emoi dans le monde clinquant des jeux d’argent : le 15/09/2006, les dirigeants de la société de paris en ligne autrichienne Bwin sont  arrêtés à Nice. Pourquoi ? Parce qu’une plainte a été déposée contre Bwin et une enquête ouverte pour « tenue illicite de jeux de hasard, loterie illicite, publicité de loteries prohibées, prise de paris illicite sur des courses de chevaux". A l’origine de la plainte : la Française des jeux et le Pari mutuel urbain (PMU) qui ont un monopole sur les jeux de hasard en France et n’entendent pas laisser d’autres sociétés empiéter sur leurs platebandes. S’ensuit une certaine agitation médiatique, la société Bwin clamant son indignation devant des « mesures disproportionnées » (précisons  pour les âmes sensibles que les dirigeants incarcérés ont été depuis libérés sous caution) et dénonçant les Etats qui « utilisent la force

    publique pour protéger, contre l'initiative privée et en contradiction avec le droit européen, des monopoles lucratifs illégitimes ».

     

     

     

    Sans préjuger de la validité des diverses incriminations dont fait l’objet Bwin (et notamment la publicité illégale), une question générale se pose en toile de fond de cette affaire : la libre prestation de services dans l’Union européenne interdit-elle que des législations nationales réservent les jeux d’argent à quelques sociétés en situation de monopole au détriment de leurs concurrents européens ? En d’autres termes, la réaction musclée des autorités françaises est-elle le chant du cygne d’un monopole condamné ? Du coté français on affiche une sérénité quasi bouddhique, en faisant valoir que les jeux ont été exclus du champ d’application de la proposition de directive sur les services dans le marché intérieur en raison de la nature particulière de cette activité.

     

     

     

    Certes. Mais il n’en reste pas moins que  la directive services n’est que le prolongement de l’article 49 du traité sur la Communauté européenne et que celui-ci est l’objet d’une jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui pourrait être favorable aux thèses de la société Bwin.

     

    Sans entrer dans le détail de celle-ci (pour plus de détails voir l’article sur le site eurogersinfo), rappelons que la Cour de justice des Communautés européennes :

    1. reconnaît aux états une marge d’appréciation pour réglementer les jeux de hasard (et les paris)
    2. admet que des objectifs d’intérêt général (protection de l’ordre social et lutte contre la fraude) puissent justifier des limitations au principe de libre exercice de ces activités
    3. mais exige que les mesures restrictives prises soient conformes à ces objectifs, proportionnées (n’excédant pas ce qui est nécessaire pour les atteindre)  et non discriminatoires (applicables de la même façon aux entreprises nationales et aux entreprises d’autres états de l’Union).

    Et ces conditions ne sont pas remplies, juge la Cour, lorsque les autorités d’un Etat incitent et encouragent les consommateurs à participer aux loteries, aux jeux de hasard ou aux jeux de paris afin de faire entrer de l’argent dans les caisses du trésor public. Car ces autorités ne peuvent pas alors  invoquer l’ordre public social tenant à la nécessité de réduire les occasions de jeu pour justifier des mesures limitant la liberté d’autres prestataires communautaires de proposer des paris en ligne. De plus, ajoute la Cour, si une sanction pénale est infligée aux contrevenants, il faut examiner si cela ne constitue pas une sanction disproportionnée (CJCE, 06/11/2003, C-243/01, Gambelli e.a).

     

     

     

    Il reste donc à la société Bwin à démontrer que le monopole conféré à la Française des jeux ne poursuit aucun intérêt général tel que la protection de l’ordre social, mais vise tout simplement à préserver et augmenter sa cagnotte. Et donc qu’il s’agit d’une entrave injustifiée à la liberté de prestation des services.

     

     

    Mission impossible ? Les casinos déjà en guerre contre le monopole (une plainte a été introduite devant la Commission européenne par le Syndicat Moderne des Casinos de France (SMCF) au printemps dernier) ne semblent pas le croire. Si l’on ajoute que la Commission européenne elle-même a déjà rappelé à l’ordre sept pays, au nombre desquels  l'Allemagne,  suspectés d'entraver la libre concurrence dans le secteur des paris sportifs, et qu’elle n’entend pas en rester là (d’autres pays seraient dans sa ligne de mire),  les avocats de la Française des jeux vont devoir affûter leurs arguments.

     

    Domaguil