Vers un corps diplomatique européen
C‘est passé relativement inaperçu, tous les projecteurs étant braqués sur les cours des bourses, la parité dollar euro, les dette grecque, espagnole, portugaise…mais le 26/04/2010, le Conseil a dégagé « une orientation politique » sur un projet de décision de création du service européen pour l'action extérieure, prévu par le traité de Lisbonne. Le Parlement Européen doit à présent être consulté.
Une création du traité de Lisbonne
Il résulte de l’article 18 du Traité sur l’Union Européenne, le Haut représentant est chargé de conduire la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union (PESC), de présider le Conseil des affaires étrangères, de s'acquitter, au sein de la Commission, des responsabilités qui incombent à cette dernière dans le domaine des relations extérieures et de la coordination des autres aspects de l'action extérieure de l'Union, ainsi que de favoriser et faciliter la coopération entre le Conseil et la Commission afin de veiller à la cohérence entre les différents domaines de l'action extérieure.
Le SEAE qui assistera le Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité dans l’exercice de ces fonctions, sera un service diplomatique qui représentera les intérêts de l’Union dans le monde. Sa création est fondée sur l’article 27§3 du Traité sur l’Union Européenne : "3. Dans l'accomplissement de son mandat, le haut représentant s'appuie sur un service européen pour l'action extérieure. Ce service travaille en collaboration avec les services diplomatiques des États membres et est composé de fonctionnaires des services compétents du secrétariat général du Conseil et de la Commission ainsi que de personnel détaché des services diplomatiques nationaux. L'organisation et le fonctionnement du service européen pour l'action extérieure sont fixés par une décision du Conseil. Le Conseil statue sur proposition du haut représentant, après consultation du Parlement européen et approbation de la Commission ».
Et c’est bien pour fixer son organisation et son fonctionnement que le Conseil est parvenu à un accord, ce qui, n’allait pas de soi, la constitution du SEAG étant en effet âprement discutée par les états et par les institutions européennes.
Le projet de décision sur le SEAE
Selon le projet de décision soumis par Catherine Ashton, Haute représentante aux Affaires étrangères de l’Union européenne, le SEAE est un organe de l’Union européenne fonctionnant de façon autonome, doté de la capacité juridique pour accomplir les tâches qui lui incombent et réaliser ses objectifs. Il est distinct de la Commission et du Secrétariat général du Conseil et est placé sous l’autorité exclusive du Haut représentant (article 1). Il est composé d’une administration centrale et de délégations de l’Union dans les pays tiers. L’administration centrale comporte à sa tête un secrétaire général chargé de prendre toutes « les mesures nécessaires pour assurer le bon fonctionnement du SEAE y compris sa gestion administrative et financière » qui exerce ses fonctions sous l'autorité du haut représentant et est secondé par deux secrétaires généraux adjoints. Elle est organisée en différentes directions générales, des directions générales constituées de départements géographiques couvrant tous les pays et régions du monde et de départements thématiques, une DG pour les questions administratives, une DG "gestion des crises et planification » (article 4). Les délégations sont dirigées par des chefs de délégation qui reçoivent leurs instructions du Haut représentant et du SEAE et sont responsables de leur exécution.
Ils ont compétence pour représenter l'UE dans les pays où se situent les délégations. Les délégations « travaillent en étroite collaboration avec les services diplomatiques des États membres » et échangent avec ces derniers toutes les informations pertinentes. Si des États membres le leur demandent, elles les soutiennent dans leurs relations diplomatiques et dans leur rôle de protection consulaire des citoyens de l'Union dans les pays tiers. L’ouverture ou la fermeture d’une délégation est décidée par le Haut représentant, en accord avec le Conseil et la Commission (article 5). L’article 6 du projet précise que le personnel du SEAE est composé des fonctionnaires et d'autres agents de l'Union européenne, et de membres du personnel des services diplomatiques des états nommés en tant qu'agents temporaires qui doivent travailler uniquement en vue les intérêts de l'Union et ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucun gouvernement, autorité, organisation…autre que le Haut représentant.
Toutes les nominations au sein du SEAE « sont fondées sur le mérite et sur une base géographique aussi large que possible », les procédures de sélection étant définies par le Haut représentant.
Dans son travail, le SEAE collabore avec le secrétariat général du Conseil et les services de la Commission, de même qu’avec les services diplomatiques des États membres, pour veiller à la cohérence entre les différents domaines de l'action extérieure de l'Union et entre ceux-ci et ses autres politiques (article 3).
Bataille pour les places
Le SEAE prend la suite des structures existantes qui représentaient la Commission (les délégations) et les états (le secrétariat générale du Conseil). Rien d’étonnant à ce que la Commission, comme les Etats le vivent comme une perte de contrôle.
Lors de son audition par la Commission des Affaires européennes de l’Assemblée Nationale, le Secrétaire d’etat français chargé des Affaires européennes n’a pas fait mystère des discussions acharnées auxquelles donne lieu l’organigramme du SEAE.
Les états se chamaillent pour placer leurs candidats aux postes clés que sont le secrétaire général, les secrétaires adjoints et les six directeurs. Le poste de secrétaire général est en particulier très convoité, logiquement car il est le numéro 2 et coiffe les directions. Ce rôle éminent en fait le chef en second de la diplomatie européenne, et la France a pris une longueur d’avance sur ses partenaires en présentant très vite un candidat à ce poste, ce qui, reconnaît Pierre Lellouche, a été mal vu « certains s’imaginant que la France tente de prendre en mains le service diplomatique de l’Union ».
Comment assurer, de plus, qu’il y ait vraiment une représentation de tous les pays au sein du SEAE et que celui-ci ne devienne pas la chasse gardée des « grands » pays et de la Commission ? La réunion du Conseil du 26/04/2010 a permis de trouver un accord sur certains points : les nominations des chefs des délégations devront refléter les “équilibres géographiques” et associer la Comission européenne. A moyen terme, un tiers du personnel du SEAE sera composé de diplomates des différents états membres. Les délégations pourront offrir des services consulaires, sous certaines conditions.
Un autre problème évoqué par M.Lellouche est le risque que le Parlement européen et la Commission n’essaient de prendre le contrôle de la politique étrangère européenne. Il faut éviter souligne le Ministre, qu’à la faveur de la mise en place du SEAE, « les anciennes représentations de la Commission ne se transforment pas en ambassades de l’Union européenne sans discussion sur les postes ». Par le biais du contrôle budgétaire sur cette activité relevant de la politique étrangère, la tentation est grande de « communautariser » la future politique étrangère de l’Union, souligne le Ministre. De fait, il n’a sans doute pas tort de se méfier !
Le Parlement européen s’en mêle
L’accord auquel est parvenu le Conseil n’a pas convaincu le Parlement européen. Quelques jours plus tard, l’eurodéputé Elmar Brok qui est chargé des négociations sur le projet de décision relatif au SEAE présentait des propositions de modification. Celles-ci sont encore officieuses, a précisé M.Brok, qui en a toutefois exposé les grandes lignes.
Sur la composition du SEAE, M.Brok a rappelé il n’est pas envisageable que le personnel détaché par les états membres soit en nombre trop important car alors « le service sera inondé de personnel national et ne représentera plus l'Union" et "les États membres auraient l'impression que le SEAE leur appartient ». Le SEAE devra donc être majoritairement composé de fonctionnaires recrutés au plan communautaire et payés par le budget communautaire. C’est un point à régler prioritairement avant que les négociations s’ouvrent.
Le Parlement entend exercer pleinement son pouvoir de contrôle et de décision sur le financement du SEAE. Celui-ci devrait être rattaché à la Commission dans les domaines administratif, organisationnel et en termes budgétaires et rendre compte au Parlement. Le budget de l’Union européenne en matière de relations extérieures devrait être augmenté de « manière appropriée ». Un mécanisme de coordination politique devrait être mis en place pour assurer la cohérence de l'action. Enfin, un document serait établi pour décrire les relations avec le Parlement européen et l'accès aux documents confidentiels.
Il reste que l’Union européenne se prépare à mettre en place un nouvel organe sans que l’on sache très bien quelle est la politique extérieure au service de laquelle il sera censé être. Quel contenu, quelles orientations pour la politique étrangère européenne…la question reste posée.
Domaguil