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  • Libre circulation des travailleurs de l’Est, état des lieux

    Les traités d’adhésion avec les dix "nouveaux" membres prévoient des périodes transitoires avant l’ouverture totale des marchés du travail de l’ex Europe des 15 aux  travailleurs salariés de certains des nouveaux pays membres (Malte et  Chypre ne sont pas concernés par cette dérogation au principe de libre circulation). A quelques jours de la fin de la première période (le 30 avril)  la Commission européenne vient de rendre publiques les mesures envisagées par les états à partir du 1er mai.

    Différents états ont décidé de maintenir inchangées les limitations à l’accès à leurs marchés du travail.

    C’est le cas par exemple  de l’Allemagne et de l’Autriche qui continueront d’appliquer un système de permis de travail ainsi que des restrictions  dans certains services transfrontaliers. Il en est ainsi également des Pays-Bas dont le Gouvernement, favorable à l’ouverture, a du faire marche arrière sous la pression du Parlement.

    D’autres états ont décidé de maintenir les restrictions mais vont assouplir la procédure dans certains secteurs ou professions.  La Belgique va le faire pour les professions d’infirmiers, plombiers, électriciens, mécaniciens automobiles, constructeurs, architectes, comptables, ingénieurs et spécialistes de l’informatique. La France, elle, garde le système de permis de travail ainsi que le principe des restrictions mais annonce que celles-ci seront levées de façon « progressive et maîtrisée » , en priorité dans les secteurs qui ont du mal à recruter  et après discussion des modalités de cette levée des restrictions avec les partenaires sociaux. Un communiqué du Ministère français des affaires étrangères vient d’annoncer qu’ à partir du 1er mai, 61 métiers parmi sept secteurs: le bâtiment et les travaux publics, l’hôtellerie-restauration et l’alimentation, l’agriculture, la mécanique-travail des métaux, les industries de transformation, le commerce et la propreté seront ouverts aux resortissants des pays de l’Est membres de l’Union.  Le communiqué précise que cette mesure « sera  accompagnée d’une lutte conjointe contre le travail illégal avec nos partenaires des nouveaux états membres ».

    Enfin d’autres pays, comme l’Espagne ou le Portugal, ont annoncé qu’ils supprimeront  les restrictions pour tous les travailleurs des nouveaux états  membres. Ils rejoindront ainsi l’Irlande, la Suède et  le Royaume-Uni qui depuis l’adhésion en 2004, n’appliquent pas de restrictions (si l’on excepte toutefois l’obligation au Royaume-Uni de s’enregistrer).

    Les travailleurs de l’Est ne sont donc pas encore les bienvenus sur les marchés du travail de tous les  pays de l’Ouest de l’Union. Au pire, cela pourrait durer jusqu’en 2011 date limite pour l’ouverture totale.

     

  • Le juge français et le droit communautaire (suite)

    Dans une note précédente, j’expliquais comment le Conseil Constitutionnel refuse de contrôler la conformité d’une loi à une règle communautaire.

     

    Faut-il en conclure que la loi française peut violer impunément le droit communautaire ?

     

    Non, bien sûr ! A quoi servirait le droit communautaire si les états restaient libres d’adopter et d’appliquer des législations qui seraient en contradiction avec lui ?

     

    L’article 55 de la Constitution française précise que les traités et engagements internationaux ont une force supérieure à celle de la loi, à partir du moment où ils ont été régulièrement ratifiés et publiés. Dans le cas du droit communautaire, cette règle est renforcée par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui dès 1964 a affirmé le principe de la primauté du droit communautaire sur le droit national. Cela signifie que les traités européens (qui constituent le droit communautaire primaire) comme les textes pris pour leur application (règlements, directives, etc… que l’on appelle droit communautaire dérivé) s’imposent au législateur français. Si une loi les méconnaît elle doit être purement et simplement écartée. Le principe s’applique, a fortiori, aux normes juridiques inférieures, à savoir celles qui sont de nature réglementaire (ex : décrets, règlements d’application des lois).

     

    Comme le Conseil constitutionnel refuse de faire ce travail de vérification, ce sont le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation qui s’y attellent. Non sans avoir traîné les pieds d’ailleurs. Le Conseil d’Etat, par exemple,  a longtemps défendu une conception nationale (nationaliste ?) du droit . Par des artifices divers qui font les délices des étudiants en droit administratif (ou les désespèrent), il s’arrangeait pour n’avoir jamais à se prononcer sur la validité d’une loi au regard du droit communautaire, lorsqu’il s’agissait d’une loi postérieure.  Cette résistance avait fini par être perçue comme de l’obstruction, d’autant plus que l’autre juridiction suprême, la Cour de cassation avait accepté en 1975 (arrêt Jacques Vabre) de ne pas appliquer une loi contraire au droit communautaire dans le litige qui était porté devant elle. Finalement,  en 1989 (arrêt Nicolo), le Conseil d’Etat a mis fin à sa guerre de tranchées en acceptant de reconnaître la supériorité d’une disposition des traités européens sur une loi postérieure, puis, un an plus tard,  en reconnaissant cette supériorité à des directives et des règlements.

     

    Pour savoir comment cela se concrétise, prenons un exemple (pour changer, autre que celui, traditionnel, de l’importateur empêché de commercialiser des produits en violation de la libre circulation des marchandises).

     

    Supposons donc, qu‘éducateur dans un établissement pour handicapés, vous ayez un différend avec votre employeur qui refuse de compter intégralement vos heures de garde de nuit comme temps de travail au motif qu’un décret prévoit un système d’heures d’équivalence qui conduit à ne décompter comme temps de travail  qu’une partie des heures de surveillance nocturnes effectuées. Cette divergence de vues s’est soldée par votre licenciement. Appuyé par votre syndicat, vous contestez la validité du décret et en demandez l’annulation devant le Conseil d’Etat, juge compétent en la matière, en invoquant son incompatibilité avec la directive communautaire  sur l’aménagement du temps de travail (directive 93/104 devenue directive 2003/88). Celle-ci fixe notamment une durée hebdomadaire maximale  de travail (48 heures,  heures supplémentaires comprises ), durée largement dépassée dans votre cas (60 heures si les gardes nocturnes sont intégralement comptées).

     

    Mais il se peut que le Conseil d’Etat ait des doutes sur l’interprétation des dispositions de la directive. Dans ce cas,  il renvoie la question à la Cour de justice des Communautés européennes. Il n’y est pas obligé d’ailleurs et ne le fera pas dans deux hypothèses : soit la Cour de justice s’est déjà prononcée sur une question identique, soit il n’y a pas de « doute raisonnable » quant à l’interprétation de la directive  (ce qui laisse au juge national une assez grande liberté d’appréciation  sur la nécessité du renvoi, liberté  que le Conseil d’Etat ne s’est pas privé d’utiliser durant sa période de « résistance »).

     

    Le renvoi à la Cour de justice des Communautés européenne est dit « préjudiciel » car, tant qu’elle ne s’est pas prononcée sur la question posée, le règlement du litige principal, c’est-à-dire, en l’occurrence,  la question de l’annulation ou non du décret contesté, est suspendu. Un à deux ans après, la réponse de la Cour de justice des communautés européennes arrive et, victoire, l’interprétation donnée va dans le sens de votre argumentation :  le temps qui n’est pas de temps de repos doit être effectivement considéré comme du temps de travail, que la personne travaille activement ou soit en veille, prête à intervenir. Le Conseil d’Etat en tire les conséquences et annule le décret qui vous était défavorable (si une loi avait été en cause, elle aurait simplement été déclarée inapplicable au litige, mais non annulée, cela n’étant pas de la compétence du juge administratif, ni judiciaire). Si vous avez subi des préjudices, vous pouvez à présent être indemnisé et tenter une action en rappel de salaires sur la base d'un calcul du temps de travail conforme aux règles définies par la Cour de Justice des Communautés Européennes. Cerise sur la gâteau : vous avez la satisfaction d’avoir oeuvré pour la cause des travailleurs !

     

    Le renvoi préjudiciel allonge évidemment les délais de procédure, mais c’est « pour la bonne cause » : assurer une interprétation uniforme du droit communautaire sous la supervision de la Cour de justice des Communautés et veiller ainsi à ce que le droit communautaire soit respecté. 

     

    Mais que se passe-t-il si des juridictions nationales rendent des arrêts en contradiction avec le droit communautaire ? A suivre dans une prochaine note…

     
  • Détachement de travailleurs, mode d'emploi

    Parallèlement à la révision de la proposition de directive sur les services (voir la note du 10/04), la Commission européenne a mis au point des lignes directrices pour préciser la portée de la directive qui réglemente le détachement de travailleurs dans un autre état de l'Union européenne pour y faire une prestation de services. Un mode d'emploi pour les états et les entreprises, en quelque sorte.

     

    Sa communication  a été rendue publique le 04/04/2006. Instruite par l’expérience de la directive sur les services et par la polémique suscitée notamment par la clause du pays d’origine, la Commission affirme vouloir ainsi "dissiper toute confusion autour des limites et des exigences juridiques communautaires applicables aux détachements, ainsi qu’à prévenir le bradage social» (la précision n’est pas  inutile au moment où certaines sociétés confondent libre prestation des services et course au moins disant social, comme l’a montré l’affaire des ouvriers polonais de la centrale EDF de Porcheville).

     

    La directive 96/71 a pour objectif de supprimer les obstacles à la mise en oeuvre de la libre prestation de services, en précisant les conditions de travail applicables aux travailleurs qui exécutent, à titre temporaire, un travail dans un état  membre autre que l’état dont la loi régit la relation de travail. Elle fixe un certain nombre de conditions de travail et d’emploi minimales en vigueur dans un état membre qui vont s’appliquer également aux travailleurs détachés temporairement dans cet état (ex: périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos, durée minimale des congés annuels payés, taux de salaire minimal,sécurité, santé et hygiène au travail...).

     

    Les travailleurs concernés sont les travailleurs  "détachés» c’est-à-dire des travailleurs envoyés par leur entreprise dans un autre pays pour y accomplir un travail. Ce travail doit être temporaire. Qu'est-ce que cela veut signifie? Comme la  directive ne donne aucune indication de durée on va se reporter à la nature de l’activité : par exemple, la construction d’un grand bâtiment sera considérée comme activité temporaire, même si elle dure plusieurs années.

     

    Bien qu’en vigueur depuis décembre 1999, la directive rencontre des difficultés d’application. Les entreprises se heurtent souvent à des procédures administratives longues et complexes et sont mal informées sur les salaires et les conditions de travail.

     

    Afin d’aider  à résoudre ces problèmes, la communication de la Commission précise quels sont les obligations et droits qui découlent de la directive:

    • un prestataire de services n’est pas obligé de disposer d’un représentant permanent sur le territoire de l’État membre d’accueil ;
    • le pays d’accueil ne peut imposer d’autorisation préalable au détachement de travailleurs, mais les sociétés de services peuvent être soumises à l’obligation d’obtenir une autorisation générale pour certains secteurs;
    • les états peuvent demander à recevoir une déclaration sur le détachement de  travailleurs avant que ceux-ci n’entament leur travail, afin de faciliter les contrôles du respect de la législation dans le pays d’accueil;
    • les prestataires de services doivent conserver les documents sociaux, comme les relevés des heures de travail ou les documents relatifs aux conditions de santé et de sécurité sur le lieu de travail.

     

    La  communication rappelle également que les autorités nationales des pays d’origine  «doivent coopérer  loyalement» avec les autorités des  pays d’accueil et fournir à celles-ci toutes les informations dont elles ont besoin pour exercer leurs fonctions de contrôle et lutter contre les pratiques illégales. La Commission fait également des propositions pour y parvenir comme, par exemple, la mise en place d’un formulaire de coopération multilingue pour l’échange des informations nécessaires qui devrait lever les barrières linguistiques et faciliter l’examen des documents par les administrateurs locaux.

     
  • Le juge français et le droit communautaire (retour sur la décision du Conseil Constiutionnel du 30/03/2006, loi pour l’égalité des chances)

    Un visiteur m’a suggéré de faire une mise à jour sur le CPE pour expliquer la décision du Conseil Constitutionnel du 30/03/2006.

    Bonne idée. Donc, nouveau retour, en forme d’épilogue, sur le CPE.

     

    Tout d’abord, un bref rappel des circonstances de la saisine du Conseil : gardien de la Constitution, le Conseil est chargé de  contrôler que les lois votées sont conformes à ses dispositions. Ce contrôle s’effectue dans le cadre de la procédure prévue par l’article 61 de la Constitution .

    Seules peuvent faire l’objet du contrôle les lois non promulguées (donc non encore applicables) qu'il s'agit en quelque sorte de tuer dans l'oeuf si elles sont  en contradiction avec la Constitution. Le droit de saisir le Conseil est réservé au Président de la république, au Premier Ministre, au Président de l’Assemblée Nationale, au Président du Sénat ainsi qu’à  60 députés ou 60 sénateurs (depuis une révision de 1974). Quid du citoyen, vous et moi ? Eh bien, les portes de l’auguste juridiction nous sont fermées ce qui signifie que si une loi viole nos droits fondamentaux et que l’une des autorités désignées par l’article 61 a « oublié » de saisir le Conseil, tant pis : l’application de la loi ne peut plus être écartée pour non conformité à la Constitution (situation anormale dans un état de droit… mais ce n’est pas le sujet de cette note) .

    Dans ce que j'appellerai « l’affaire du CPE », l’opposition parlementaire a saisi le Conseil pour qu’il examine la conformité à la Constitution des articles 8, 21, 48, 49 et 51 de la loi pour l’égalité des chances, l’article 8 étant celui qui créait le désormais « feu CPE ».

    Durant la période de suspense insoutenable qui a précédé la décision, les pronostics sont allés bon train et on a entendu de nombreux commentateurs affirmer que vraisemblablement le Conseil constitutionnel allait invalider la disposition créant le  CPE. On nous a expliqué, notamment, que  la procédure n’avait pas été respectée (amendement déposé par le Gouvernement  en cours de discussion  à l’Assemblée, absence de consultation du Conseil d’Etat…), que  le CPE était contraire au principe constitutionnel d’égalité (discrimination envers les moins de 26 ans), que les règles internationales et communautaires avaient  été violées, ou encore, et c’est l’explication qui m’a le plus divertie, que le Conseil étant à la solde du gouvernement, il allait déclarer non conforme l’article 8 afin de ménager  à celui-ci une sortie de crise honorable (mais c’était ignorer que le Conseil constitutionnel, bien que ses membres soient désignés par les autorités de l’Etat, a  mis un point d’honneur à affirmer son indépendance comme le prouvent diverses décisions qu’il a prises).

     

    Pour ce qui est de  l’argument tiré de la violation des règles internationales, le seul que j’évoquerai ici, pour rester dans l’objet de ce blog, le Conseil a opposé une fin de non recevoir se refusant à l’examiner au motif qu’ «  il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un accord international ». 

    Car le  rôle du Conseil, tel qu'il résulte de la Constitution, est de contrôler la conformité de la loi à la Constitution ou de contrôler  la "compatibilité" de la Constitution avec un engagement international (par exemple, l’an dernier, avec le traité constitutionnel européen) . Mais s'il s'agit de contrôler la conformité d'une loi à un engagement international, ce n'est plus de la compétence du Conseil constitutionnel  mais de celle de la Cour de cassation ou du Conseil d'Etat. On appelle cela le contrôle de "conventionnalité" par opposition au contrôle de "constitutionnalité".

    Cette solution vaut pour le droit communautaire. Elle est cependant appliquée moins strictement  lorsqu’est en cause la validité d’une loi transposant une directive européenne. Dans sa décision  no 2004-496 DC du 10 juin 2004, loi pour la confiance dans l’économie numérique , le Conseil a accepté de contrôler la conformité d’une loi à une directive européenne, parce que la loi en question transposait cette directive et que la transposition en droit français d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle (article 88-1 de la Constitution). Donc une loi de transposition d’une directive ne pouvait être en contradiction avec celle-ci sans violer de ce fait  l’article 88-1 de la  Constitution. Ce qui est rappelé dans le considérant 28 de la décision du 30/03/2006 :  « Considérant, d'autre part, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 88-1 de la Constitution : " La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences " ; que, si la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la compatibilité d'une loi avec les dispositions d'une directive communautaire qu'elle n'a pas pour objet de transposer en droit interne ».

     

    La transposition d'une directive en droit interne est donc  seule hypothèse dans laquelle le Conseil accepte de confronter une loi à une règle communautaire et encore le fait-il de façon très prudente pour ne pas risquer un conflit d’interprétation d’une norme communautaire avec la Cour de justice des Communautés européennes, seule compétente pour interpréter les textes de droit communautaire.

     

    Mais au fait, si le Conseil constitutionnel n'est pas compétent, comment fait-on au juste pour contester une loi contraire au droit communautaire? La suite dans une prochaine note....