Responsabilité de l’Etat en cas de non respect d’un traité international
Le 08/02/2007 fera décidément date dans la jurisprudence du Conseil d’Etat. Après avoir rendu une décision remarquée sur la primauté du droit communautaire (voir la note du 23/02), le Conseil consacrait ce même jour la responsabilité de l’Etat pour non respect d’une convention internationale.
Le requérant, M. X avait demandé, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, à être déchargé de cotisations qu’il avait versées à la caisse de retraite des chirurgiens-dentistes, le décret prévoyant ces cotisations ayant été jugé illégal par le Conseil d’Etat et annulé. Entretemps, une loi ayant été votée afin de valider rétroactivement les appels de cotisation, le tribunal des affaires de sécurité sociale avait rejeté la demande de M. X. Celui-ci avait alors saisi la justice administrative pour obtenir réparation du préjudice causé par la loi de validation. A l’appui de sa demande, il soutenait notamment que cette loi violait l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sur le droit à un procès équitable.
Le fait que la responsabilité de l’Etat puisse être engagée en raison des lois, en dehors de toute faute, résulte d’une construction prétorienne bien connue des publicistes qui n’ont aucune difficulté à mémoriser l’arrêt fondateur de cette jurisprudence car il porte le doux nom de "Société la Fleurette" ! Dans cette décision du 14/01/1938 (Société anonyme des produits laitiers « La Fleurette »), le Conseil d’Etat avait reconnu à la victime d’un dommage causé par une loi la possibilité d’obtenir réparation sur le terrain de la responsabilité sans faute, fondée sur la rupture de l’égalité devant les charges publiques. Mais en posant des conditions strictes qui rendaient exceptionnelle la possibilité de réparation : il fallait d’une part que la loi n’ait pas exclu la possibilité d’indemnisation et d’autre part que le préjudice subi ait un caractère grave et spécial, c’est-à-dire qu’il touche certaines personnes dans des conditions telles qu’il y ait rupture de l’égalité des citoyens devant les charges qui peuvent leur être imposées pour des raisons d’intérêt général.
Résultat prévisible (et souhaitable, il faut bien le dire) : la responsabilité de l’Etat du fait d’une loi n’a été reconnue que rarement (cette jurisprudence peu pléthorique faisant le bonheur des étudiants en droit administratif plus habitués aux longues listes d’arrêts à mémoriser).
C’est pourtant en s’appuyant sur cette jurisprudence que M .X avait formé sa demande d’indemnisation. La question était donc de savoir si la responsabilité de l’Etat pouvait aussi être engagée au motif que la loi violait une convention internationale.
A cette question, le Conseil d’Etat répond par l’affirmative. Seul un motif d’intérêt général impérieux aurait pu justifier la loi. Tel n’est pas le cas en l’espèce. La loi de validation est donc incompatible avec les obligations résultant de l’article 6§1 de la CEDH et l’Etat, qui a l’obligation d’assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, doit réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de la méconnaissance des engagements internationaux de la France. L’Etat est condamné à indemniser M.X du préjudice subi c’est-à-dire à lui verser le montant des cotisations dont il aurait pu obtenir le remboursement si la loi de validation n’avait pas été adoptée, augmentées des intérêts au taux légal de cette somme depuis sa demande préalable d’indemnité.
L’obligation des pouvoirs publics de respecter les engagements internationaux de la France, ce qui couvre également le droit communautaire, est ainsi clairement affirmée et sanctionnée par cette décision du Conseil d’Etat. Ainsi se trouve complétée une construction jurisprudentielle visant à assurer l’application du droit résultant de traités internationaux.
Addendum La Cour de justice des Communautés européennes a pour sa part récement jugé que le fait pour un état de ne pas respecter l'obligation de transposer correctement une directive, n’implique pas mécaniquement qu’il engage sa responsabilité. Cette question est de la compétence des juridictions nationales qui doivent certes statuer conformément aux interprétations générales données par la Cour, mais sont juges de la façon dont elles s’appliquent au cas d’espèce. Dans son arrêt, la Cour rappelle que lorsqu’un état a mal transposé une directive dont les dispositions lui laissent une marge d’appréciation importante, il faut que la contradiction entre le texte national et la directive soit flagrante, et révèle une méconnaissance « manifeste et grave » des obligations qu’elle contient. Afin de déterminer si cette condition est réunie, le juge national devra prendre en considération tous les éléments qui caractérisent la situation (CJCE, 25/01/2007, aff. C-278/05, Carol Marilyn Robins et autres / Secretary of State for Work and Pensions)