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  • Application de la directive sur la responsabilité environnementale

    Adoptée le 21/04/2004, la directive 2004/35 sur la responsabilité environnementale qui organise la prévention et la réparation des dommages environnementaux devait être transposée dans les législations nationales au plus tard le 30/04. Or, le 27 avril, la Commission européenne annonçait que seules l'Italie, la Lettonie et la Lituanie l’ont fait. 

     

     

    Fâcheux…car la directive donne un contenu concret au «principe du pollueur payeur» établi dans le traité sur la Communauté européenne.

     

     

    Sont visés en particulier les dommages aux ressources en eau, aux habitats naturels, aux animaux et aux végétaux, ainsi que la pollution des sols causées par des activités professionnelles. La directive poursuit un double but : inciter fortement à prévenir les atteintes environnementales et permettre aux gouvernements d'obtenir réparation du coupable en cas de préjudice grave.

     

     

    Toutes les activités ne sont pas concernées au même degré par la directive qui cible en dans son annexe III des activités déjà identifiées par la législation communautaire comme présentant un risque réel ou potentiel pour la santé humaine ou l'environnement. Il s’agit, par exemple, de l'exploitation d’installations de fabrication de produits chimiques dangereux, des opérations de gestion des déchets, notamment le ramassage, le transport, la valorisation et l'élimination des déchets et des déchets dangereux, des rejets dans l’eau de métaux lourds, de la fabrication, l'utilisation, le stockage, le traitement, le conditionnement, le rejet dans l'environnement et le transport sur le site de substances dangereuses, de préparations dangereuses, de produits phytopharmaceutiques, de produits biocides, du transport par route, chemin de fer, voie de navigation intérieure, mer ou air de marchandises dangereuses ou de marchandises polluantes, de l’utilisation confinée, y compris du transport, de micro–organismes génétiquement modifiés, de la dissémination volontaire dans l'environnement, de tout transport ou mise sur le marché d'organismes génétiquement modifiés. Cependant, d'autres opérateurs économiques pourront  également être amenées à assumer les coûts de prévention ou de réparation des atteintes aux espèces protégées et aux habitats naturels, mais seulement si une faute ou une négligence peut leur être reprochée.

     

     

    Des exonérations de responsabilité sont prévues par la directive (par exemple, si l’exploitant  prouve qu’au moment où l’activité à l’origine du dommage a eu lieu, l’état des connaissances scientifiques et techniques ne permettait pas de la considérer comme étant susceptible de  causer un tel dommage).

     

     

    Les dommages environnementaux pris en compte par la directive doivent être causés par ou plusieurs pollueurs identifiables, avoir un caractère concret et mesurable, et un lien de causalité doit être établi entre le dommage et le ou les pollueurs identifiés. Sont exclus du champ d’application de la directive la pollution à caractère étendu et diffus (ce qui sera le cas par exemple, en général, de la pollution atmosphérique dans la mesure où elle ne peut être directement imputable à une activité donnée), les dommages corporels, les dommages aux biens privés, ou encore les pertes économiques, ce qui ne signifie pas que les droits résultant de ces catégories de dommages sont affectés mais qu’ils ne pourront pas s’exercer sur le fondement du principe pollueur défini par la directive, mais sur celui des régimes de responsabilité nationaux. Sont également exclus les dommages environnementaux produits lors de conflits armés, d’activités de défense nationale ou de cas de force majeure.

     

     

    Il incombe aux états de compléter la directive en édictant les règles  permettant de contraindre les opérateurs concernés à prendre ou à financer  les mesures de prévention ou de réparation qui s'imposent. Le principe de responsabilité pollueur  payeur implique que l’exploitant supporte les coûts des actions de prévention et de réparation et que l’autorité compétente qui en ferait l’avance les recouvrera  en principe auprès de lui (elle n’y est pas tenue, afin de tenir compte de certaines hypothèses comme celle dans laquelle le coût serait supérieur à l’enjeu ou encore celle dans laquelle l’exploitant ne peut être identifié).

     

     

    Les groupements d'intérêt public tels que les organisations non gouvernementales pourront demander aux autorités publiques d'intervenir, le cas échéant, et pourront contester la légalité de leurs décisions devant les tribunaux. Mais on le remarque, il n’y a pas de droit de recours direct contre l’opérateur responsable d’un dommage. Si des atteintes ou des menaces d'atteintes environnementales risquent de concerner plusieurs États membres, les États membres concernés doivent coopérer aux mesures de prévention ou de réparation.

     

     

    Enfin, la directive n’oblige pas les opérateurs à assurer les risques inhérents à leurs éventuelles responsabilités. Elle prévoit simplement que les États membres doivent « promouvoir » la mise en place de telles assurances et inciter les opérateurs à y recourir.

     

     

    Adoptée après des années de discussion et un lobbying actif des industriels, la directive apparaît de ce fait, comme souvent, en retrait par rapport aux propositions initiales (livre vert de 1993,  COM(93) 47 final, et  livre blanc de 2000, COM(2000) 66 final qui servit de base à la consultation publique préparatoire à la proposition de directive présentée par la Commission le 23/01/2002, COM/2002/0017 final) .

     

     

    Par exemple,  la rétroactivité demandée par les ONG de défense de l’environnement n’a pas été retenue : les dommages préexistants n’entent donc pas dans le champ d’application de la directive. De même sont exclus, on l’a vu, les dommages corporels et aux biens (la possibilité de les inclure étant pourtant présente dans le livre blanc). Il n’y pas de pas de présomption du lien de causalité entre les activités concernées et les dommages environnementaux qui en résultent. Enfin, la directive n’impose pas de  s’assurer ou de contribuer à un fonds de compensation. Mais cela n’empêche pas les états (au contraire, la directive les y encourage sur certains points comme celui de  l’assurance) à compléter les règles communautaires, afin de renforcer les obligations  de prévention et de réparation des dommages  environnementaux et d’étendre l’application de la directive à d’autres activités ou à d’autres responsables…

     

     

    La France pour sa part a déjà pris du retard dans la transposition puisque le projet de loi l’assurant a été déposé au Sénat…le 5 avril 2007. Autant dire qu’il n’est pas près d’être examiné compte tenu de la suspension des travaux de l’Assemblée nationale pour cause d’élections.

     

     

    En France, le principe du pollueur payeur est énoncé par l’article L110-1, 3° du code de l’environnement selon lequel « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur » (la taxe de ramassage des ordures ménagères, par exemple,  en est une application concrète). La Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle depuis 2005  (Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 consacre ce principe dans ses articles 3 et 4 : "Article 3. - Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.

    Article 4. - Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi".

     

     

    La transposition de la directive européenne est donc l’occasion de mettre en oeuvre ce principe, la directive impliquant  de compléter et d’étendre les règles actuelles en mettant en place un système de responsabilité objective sans faute, allant au delà de la réparation des seuls dommages causés aux tiers pour y ajouter ceux qui affectent l’environnement naturel, et en obligeant par exemple les opérateurs d'activités à risque à remettre les sites pollués en état.

     

     

    Mais les associations de défense de l’environnement n’y trouvent pas leur compte.

     

     

    Déjà accusée par Greenpeace notamment d’avoir « sabordé » la directive européenne,  voilà que la France est également critiquée pour avoir élaboré un projet de loi qui n’est « pas à la hauteur » des attentes, en effectuant une transposition « a minima » de la directive (dossier du 05/04/2007 sur le site www.infogm.org et menaçant le principe pollueur payeur selon un communiqué signé par diverses associations de défense de l’environnement le 06/04/2007 (Les Amis de la Terre, La Fondation Nicolas Hulot, le CNIID, France Nature Environnement, Greenpeace et WWF) et publié notamment sur le site du CNIID (Centre National  d’Information indépendante sur les Déchets). Principaux griefs : le texte prévoit « de nombreuses échappatoires à la responsabilité » qui sont  « un véritable cadeau aux pollueurs », par exemple, en excluant de la qualification d’exploitant (et donc du régime de responsabilité)  l’exploitant d’une activité de recherche (dossier du site infogm). Le projet de loi ne permet pas non plus « de manière claire » de remonter à l'actionnaire principal ou à la société mère  en cas d'insolvabilité du pollueur pour mettre  à sa charge l’obligation de remise en état (communiqué des associations de défense de l’environnement du 06/04). D’autres points sont également contestés : l’absence d’obligation d’assurance et de constitution de garanties financières, ou encore le fait que le projet de loi n'ait pas repris les dispositions de l’article 12 de la directive sur l’action des associations.

     

    Domaguil

  • La Commission européenne propose d’harmoniser les sanctions du travail clandestin dans toute l’Union européenne

    Dans le cadre de la  politique d’immigration commune, le Conseil européen de Bruxelles des 14 et 15/12/2006

    a chargé la Commission européenne de présenter des propositions avec un double objectif : organiser et encadrer une immigration sans laquelle l’Union européenne ne pourra pas faire face au défi démographique que lui pose le vieillissement de sa population, et combattre les formes illégales d’immigration.

     

     

    C’est dans ce cadre qu’intervient la proposition de directive rendue publique le 16/05/2007 par la Commission européenne. Elle s’y attaque au travail illégal qui est, souligne-t-elle, l’un des facteurs encourageant l’immigration clandestine vers l’Union européenne. C’est pourquoi, une politique de contrôle de l’immigration doit aussi passer  par des mesures qui dissuadent les employeurs de faire travailler des  immigrés originaires de pays tiers en séjour irrégulier dans l'Union.

     

     

    La directive proposée a pour but, en s’inspirant  de règles qui existent déjà dans les états membres, d’harmoniser certaines obligations des employeurs pour prévenir les situations d’emploi clandestin, et, si ces mesures préventives se sont avérées inefficaces, les sanctions prises à leur encontre.

     

     

    Les employeurs seront tout d’abord tenus de vérifier que la personne qu’ils envisagent de recruter est en situation régulière, donc qu’elle a un permis de séjour ou une autorisation équivalente, et en second lieu d’informer les autorités nationales compétentes.

     

     

    Faute de quoi, ils seront passibles d’amendes qui pourront comprendre les frais de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, et du paiement des salaires, impôts et cotisations de sécurité sociale impayés. D’autres sanctions pourront leur être infligées, comme par exemple, l'exclusion du bénéfice de subventions et l'interdiction de participer à des marchés publics pendant une période pouvant aller jusqu'à cinq ans.

     

     

    Enfin, des amendes ou des sanctions administrative pouvant se révéler trop peu dissuasives pour certains employeurs, la Commission propose de punir par des sanctions pénales les abus les plus graves : des infractions répétées (une troisième infraction en deux ans); l’emploi d'au moins quatre ressortissants de pays tiers; des conditions de travail particulièrement abusives; le fait que l’employeur sait que le travailleur est victime de la traite des êtres humains. Cette mesure va certainement se heurter à des résistances  parmi les états jaloux de leurs compétences en matière pénale. Et seuls 19 états (au nombre des quels la France) ont des législations permettant de perdre des sanctions pénales dans certaines hypothèses  de travail clandestin. Il va donc falloir convaincre les 8 autres de faire de même, ce qui n’est pas acquis.

     

     

    Ces règles s’appliquent à tous les employeurs qu’il s’agisse de professionnels, ou de particuliers.

     

     

    Dans les cas où il où il est fait appel à des sous-traitants (hypothèse fréquente dans le secteur du bâtiment, en particulier) ,  toutes les entreprises de la  chaîne de sous-traitance seront solidairement redevables des sanctions financières infligées à un sous-traitant situé en bout de chaîne qui emploierait des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

     

     

    Pour garantir l’application de la directive, les états seront obligés de  réaliser un nombre minimum d'inspections dans les sociétés établies sur leur territoire. Ils devront aussi mettre en place des mécanismes de réclamation pour permettre aux travailleursde pays tiers concernés de porter plainte directement ou par l'intermédiaire de tiers désignés tels que des organisations syndicales ou d'autres associations. Il reste à savoir comment mettre en œuvre cette mesure, car on imagine mal des travailleurs en séjour irrégulier sortir de la clandestinité pour dénoncer leurs employeurs et par là même se signaler aux autorités, quand bien même la proposition de directive prévoit que les travailleurs clandestins qui collaboreront aux poursuites contre leurs employeurs pourraient bénéficier d’un  permis de séjour temporaire (en fait, le temps de la durée de la procédure).

     

     

    Une autre disposition difficile à appliquer et dont on peut douter de l’efficacité est celle qui prévoit que les sociétés détachant des travailleurs ressortissants de pays tiers dans un autre État membre dans le contexte de la fourniture de services seront soumises à des contrôles de la part de l'état dans lequel elles sont implantées, et non de celui dans lequel les services sont fournis.

     

    Domaguil

     

     
  • Nul n’est censé ignorer le droit communautaire : droit communautaire et droit national . III- La primauté du droit communautaire, version Conseil dEtat

    Le Conseil constitutionnel s’est attaché à clarifier les rapports entre droit communautaire et Constitution, en répondant à la question : comment concilier le principe de la suprématie de la Constitution dans l’ordre juridique interne  avec l’existence d’un droit communautaire dont la Cour de Justice des Communautés Européennes a depuis longtemps jugé qu’il s’impose aux normes juridiques nationales y compris constitutionnelle ?

     

     

    Voilà que le Conseil d’Etat lui emboîte le pas dans une décision du 08/02/2007 et apporte sa contribution à cet édifice jurisprudentiel qui bouscule notre conception de la hiérarchie des normes.

     

     

    Le Conseil d’Etat avait été saisi par la société Arcelor d’une requête tendant à l’annulation d’un décret transposant la directive communautaire 2003/87 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre mis en place dans le cadre du protocole de Kyoto.Au nombre des moyens invoquées par la requérante à l’appui de sa demande d’annulation figurait le fait que le décret était contraire à des principes de valeur constitutionnelle : droit de propriété, liberté d’entreprendre et égalité.

     

     

    Le Conseil d’Etat observe tout d’abord que le décret assure la transposition d’une directive aux dispositions claires et inconditionnelles. En d’autres termes : le Gouvernement auteur du décret était lié par elles et  ne pouvait les modifier, seulement les retranscrire. Par conséquent, mettre en cause la conformité du décret aux principes constitutionnels équivaut à mettre en cause le texte communautaire qu’il transpose. Or, si les engagements internationaux doivent être conformes à la Constitution et aux principes à valeur constitutionnelle, dans le cas des traités communautaires et des actes qui en sont dérivés, le contrôle de cette conformité doit s’effectuer « selon des modalités  particulières », lorsque sont en cause des textes transposant des dispositions claires et inconditionnelles, car l’obligation de transposition est elle-même une obligation constitutionnelle résultant de l’article 88-1 de la Constitution à laquelle il ne peut pas être fait échec.

     

     

    Les « modalités particulières » de contrôle évoquées par la décision ont ainsi pour but d’éviter un conflit entre le principe de la suprématie  de la Constitution sur les traités internationaux  et l’exigence de transposition des directives, dans les cas où cette transposition obligatoire conduirait à adopter une loi ou un règlement contraire à la Constitution ou à un principe de valeur constitutionnelle.

     

     

    Dans cette hypothèse, le juge administratif doit  rechercher s’il existe une règle ou un principe général du droit communautaire équivalant au principe constitutionnel dont la violation est invoquée et contrôler la conformité du décret, ou plus exactement de la directive dont il est la transposition, à cette règle ou ce principe. Si la réponse à cette question soulève un doute sérieux, le Conseil d’Etat doit renvoyer là la Cour de Justice des Communautés européennes le soin d’apprécier la validité de la directive (mécanisme de la question préjudicielle de l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne).

     

     

    Dans le cas contraire, il statue lui-même. Si la validité de la directive est constatée, le décret de transposition est maintenu et le recours en annulation rejeté. Dans le cas contraire, les conséquences sont évidemment l’annulation du décret.

     

     

    S’il n’existe pas de règle ou de principe général du droit communautaire équivalant à la disposition ou au principe constitutionnel invoqué, le juge administratif contrôle alors la conformité des dispositions réglementaires contestées à la Constitution.

     

     

    En l’espèce, le Conseil d’Etat après avoir constaté que le droit de propriété et la liberté d’entreprendre et l’égalité sont bien protégés au titre des principes généraux du droit communautaire, juge que la directive communautaire ne remet pas en cause les deux premiers  et n’est donc pas illégale sur ces points. En revanche, il sursoit à statuer et renvoie à la Cour de Justice des Communautés européennes la question de la validité de la directive au regard du principe d’égalité.

     

     

    Sur un plan plus général, la décision du Conseil d’Etat tire les conséquences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel au terme de laquelle l’article 88-1 de la Constitution « a…consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à  l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international » (décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, le Traité établissant une Constitution pour l’Europe). Ainsi, le bloc de constitutionnalité s’enrichit du droit européen qui, dans certains cas s’imposera comme la norme suprême de l’ordre juridique interne (chaque fois que n’y feront pas obstacle des dispositions  inhérentes à notre identité constitutionnelle, selon la formule du Conseil constitutionnel, ou des principes constitutionnels n’ayant pas d’équivalant en droit communautaire, selon celle du Conseil d’Etat). Avec pour conséquence que le juge national doit alors faire siennes les décisions de la Cour de Justice des Communautés européennes seule compétente pour interpréter un texte communautaire ou en apprécier la validité. Certes la notion d’absence de doute qui lui permet, comme on l’a vu, de ne pas renvoyer à la Cour  lui laisse une certaine latitude, mais pas au point de méconnaître sciemment la règle communautaire. Comme le formule  le communiqué de presse présentant la décision du 8 février : « Cette décision manifeste de la part du Conseil d’État le souci de tirer toutes les conséquences de la confiance réciproque qui doit présider aux relations entre systèmes nationaux et système communautaire de garantie des droits ».  Ce qui signifie la volonté d’appliquer « loyalement » le droit communautaire et d’en préserver l’effet utile en reconnaissant sa primauté. Dès lors, il faut bien reconnaître que le dogme de la suprématie absolue de la Constitution a vécu et que cette suprématie est  aujourd’hui cantonnée à un ensemble de règles aux frontières indécises et peut-être mouvantes au gré des jurisprudences : « règles inhérentes à l’identité constitutionnelle », « principe spécifique » au bloc de constitutionnalité, ou encore « valeurs fondamentales »…

     

     

    Ce qui me conforte dans le sentiment, déjà évoqué dans d’autres articles,  de vivre un moment paradoxal, dans lequel l’Union européenne peine à se relancer faute de projet et de volonté politique, tandis que l’intégration juridique progresse à grands pas.

    Domaguil

      
  • Nul n’est censé ignorer le droit communautaire : droit communautaire et droit national . III- La primauté du droit communautaire, version Conseil constitutionnel

    Et voici la suite de la série de notes consacrées aux rapports évidemment peu simples qu’entretiennent droit national et droit communautaire (voir la rubrique « comment ça marche » de ce blog  pour les précédentes notes).

    Nous nous étions quittés sur l’angoissante ( !) question de la confrontation du droit communautaire à la norme des normes, la Constitution elle-même, sujet hautement délicat car il provoque régulièrement des éruptions de souverainisme peu propices à une étude sereine. Et force est de constater (selon l’expression abondamment usitée) que les récentes décisions du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat ne vont  certainement pas contribuer à calmer le jeu.

    A tout seigneur tout honneur, intéressons nous d’abord au Conseil constitutionnel.

    Il y a un peu, d’impétueux parlementaires de l’opposition voulant faire obstacle à la privatisation de GDF saisissent cette auguste juridiction d’un recours mettant en cause la constitutionnalité de l’article 39 de la loi sur l’énergie (Loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie, publiée au JO du 8), celui qui prévoit la privatisation.

     

    Hélas, trois fois hélas ! Ce faisant ils ouvrent la boîte de Pandore. Car, dans sa décision rendue le 30/11/2006,  non seulement le Conseil constitutionnel ne juge pas que cet article viole la Constitution, mais dans un excès de zèle non prévu ( ? ! ) il  s’intéresse à un autre article de la loi, l’article 17,  qui prévoyait le maintien de tarifs réglementés et le censure derechef  au motif qu’il viole les directives européennes sur l ‘énergie dont la loi assure la transposition  en droit interne (directive 2003/54 du 26 juin 2003  concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et  abrogeant la directive 96/92 ; directive 2003/55 du 26 juin 2003  concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et  abrogeant la directive 96/30).

     

    Consternation de ceux qui avaient mis leur espoir dans la décision du Conseil constitutionnel pour faire obstacle à la fusion GDF-Suez sans envisager cette conséquence de leur recours. Tollé de la CGT qui avait appuyé dans une lettre le recours des parlementaires. Embarras de la majorité qui rit et grimace à la fois car elle se serait bien passée de cette péripétie quelques mois avant l’élection présidentielle. Et voilà comment les tarifs réglementés de l’énergie se voient menacés de disparition si aucune parade juridique n’est trouvée.

    Mais si l’attention générale s’est fixée sur cet aspect de la décision du Conseil, il en est un autre qui est passée plus inaperçu, celui du fondement sur lequel elle a été prise, à savoir la contradiction d’une loi avec une directive communautaire.

     

     

    Le rôle du Conseil, tel qu'il résulte de la Constitution, est de contrôler la conformité de la loi à la Constitution ou de contrôler  la compatibilité d’un engagement international (par exemple, le traité constitutionnel européen) avec la Constitution . Mais, comme on l’a vu,  s'il s'agit de contrôler la conformité d'une loi à un engagement international, ce que l’on appelle le «contrôle de "conventionnalité" par opposition au contrôle de "constitutionnalité", le Conseil constitutionnel considère que ce n’est pas sa compétence. Ce sont donc la Cour de cassation et le  Conseil d'Etat qui s’y attellent.

     

     

    Comme rien n’est simple, décidément, cette répartition des compétences n’est pas absolue. Ainsi le Conseil constitutionnel accepte-t-il d’apprécier la conformité d’une loi à une directive européenne (droit communautaire dérivé), dont elle réalise l'exacte transposition. Le Conseil justifie cette solution par le motif que la transposition en droit français d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle (article 88-1 de la Constitution) qu’il lui appartient de ce fait, à lui, juge constitutionnel, de faire respecter.

    Ce qui est très clairement exprimé dans la  décision n° 2006-540 DC - 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), dont le considérant 18 est ainsi rédigé: « Considérant qu'il appartient par suite au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l'article 61 de la Constitution d'une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, de veiller au respect de cette exigence ».  La loi peut et doit donc être censurée par le Conseil constitutionnel  si elle viole les dispositions de la directive qu’elle transpose. Mais le Conseil peut-il contrôler qu’une loi qui transposerait exactement  une directive est conforme aux autres dispositions de  la Constitution ? Non. Car dans ce cas il serait conduit à se prononcer indirectement  sur la conformité à la constitution de la  directive elle-même. Or, la jurisprudence de  la Cour de Justice des Communautés européennes le lui interdit : les juridictions nationales, constitutionnelles incluses, ne sont pas compétentes pour déclarer invalide un acte de droit communautaire dérivé, comme une directive. Seule la Cour de Justice des Communautés européennes est compétente pour apprécier la validité d’un tel acte  (et en interpréter les dispositions en cas de difficulté). La directive communautaire bénéficie donc d’une « immunité  constitutionnelle ».

     

     

    Mais celle-ci n’est pas absolue. Ainsi, le Conseil a d’abord jugé que la transposition est impossible si elle est en contradiction avec une disposition expresse de la Constitution ( décision  no 2004-496 DC du 10 juin 2004, loi pour la confiance dans l’économie numérique) . Ce critère a ensuite disparu des décisions ultérieures du Conseil constitutionnel qui lui ont substitué celui de l’ atteinte à « l'identité nationale » des Etats membres « inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles » (Décision n° 2004-505 DC - 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l'Europe, considérant 12) , formule devenue « une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » dans la décision la plus récente, Décision n° 2006-540 DC - 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), considérant 19.

     

     

    Pour résumer, la loi de transposition sera déclarée non conforme dans les cas suivants :

    • La transposition conduit à violer une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France (à moins que le constituant lui-même décide de la valider) 
    • Elle est manifestement contraire à la  directive qu'elle a pour objet de transposer (sous réserve dans cette hypothèse de l’interprétation donnée par la Cour de justice des Communautés européennes)

     

    Il reste à savoir ce que recouvre la notion « d’identité constitutionnelle ». Sans doute inclut-elle les principes propres à la tradition constitutionnelle française comme la forme républicaine, mais de façon moins certaine les droits et libertés communs aux pays membres de l'Union comme, par exemple, les droits reconnus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

     

    Domaguil