Les 14 et 15 décembre, le Conseil européen débattra de la suite à donner aux négociations d’adhésion de l’Union européenne avec la Turquie à la lumière du rapport d’étape présenté par la Commission européenne le 8 novembre.
Ce qui promet d’être un casse-tête car les relations entre la Turquie et l’Union européenne traversent une zone de turbulences. Une des raisons en est que la Turquie refuse toujours de reconnaître la République de Chypre malgré la déclaration adoptée par les états membres de l’Union européenne le 21/09 /2006, en préalable à l’ouverture officielle des négociations d’adhésion le 3 octobre 2005. Cette déclaration rappelait que « la reconnaissance de tous les États membres est une composante nécessaire du processus d'adhésion » et appelait à « une normalisation aussi rapide que possible » entre la Turquie et tous les Etats membres. La déclaration est restée lettre morte, et bien que la Turquie ait signé le protocole additionnel de l’accord de l’union douanière au moment de l’ouverture des négociations d’adhésion, ce qui l’oblige en principe à ouvrir ses ports et ses aéroports aux bateaux et avions chypriotes grecs, elle s’y refuse tant qu’aucune solution n’est apportée pour mettre fin à l’isolement des chypriotes turcs. A quoi s’ajoutent les diverses violations des droits de l’homme, dont la persécution de l’écrivain Orhan Pamuk est un exemple médiatisé, la condition des femmes et la situation des minorités. Bref, le contentieux est profond.
Sans surprise, le rapport de la Commission européenne sur les progrès réalisés par la Turquie pour remplir les critères d’adhésion est critique. Pêle mêle sont pointés la répression pénale de l’insulte contre la « turcité » qui permet de poursuivre en fait l’expression d’opinions, le manque d’indépendance de la justice, la corruption, l’influence politique de l’armée (« Des efforts supplémentaires doivent être consentis pour imposer l’autorité du pouvoir civil sur l’armée » précise la Commission), le déni des droits des minorités…et bien sûr le litige qui oppose la Turquie à Chypre. Après avoir rappelé que la Turquie doit prendre « des mesures concrètes pour normaliser ses relations bilatérales avec tous les États membres de l'Union européenne le plus tôt possible », ce qui reprend la formulation de la déclaration du 21/09/2006, la Commission avertit, dans un communiqué du 8/11: « Si elle ne satisfait pas à la totalité de ses obligations, cela aura des répercussions sur le déroulement général des négociations. La Commission fera des recommandations appropriées avant le Conseil européen de décembre si la Turquie n'a pas satisfait à ses obligations ». A noter que le refus de reconnaître le génocide arménien ne fait pas partie des critères d’adhésion à l’Union européenne contrairement à ce que souhaitait le Parlement européen (qui a renoncé ensuite à en faire une condition). L’Union européenne a semblé d’ailleurs assez embarrassée par la proposition de loi votée par les députés français dans laquelle la négation du génocide arménien devient un délit au grand dam des historiens qui verraient, si cette proposition était finalement adoptée (ce qui est peu vraisemblable) leurs travaux de recherches encadrés en se voyant imposer une vérité officielle sous peine de sanctions pénales.
Le durcissement de ton de la Commission est dénoncé par les partisans de l’adhésion de la Turquie qui y voient une recherche d’alibis pour éloigner la candidature de ce pays. Certains dénoncent même un complot pour « torpiller » la Turquie (voir l’article du Figaro du 20/11/2006, « qui veut torpiller la Turquie ?»).
Mais s’il est vrai que « pacta sunt servanda » (les engagements doivent être respectés), cela s’applique aux deux partenaires et la Turquie doit également remplir sa part du contrat.
On entend dire que certains des précédents candidats à l’adhésion sont entrés dans l’Union européenne alors qu’ils n’étaient pas préparés et qu’il y aurait donc un traitement inégalitaire dont pâtirait la Turquie avec laquelle l’Union se montrerait plus intransigeante. N’ayant pas les moyens de savoir exactement ce qu’il en est, je me limiterai à remarquer que, quand bien même cette affirmation serait fondée (ce qui reste à démontrer), il n’y aurait aucune raison pour continuer à prendre des libertés avec les critères d’adhésion. Sinon, à quoi bon en avoir?
Plusieurs responsables européens évoquent plus ou moins ouvertement la possibilité d’une suspension, totale ou partielle, des négociations d'adhésion. Mais il n’y a pas d’unanimité sur ce point entre les états membres qui hésitent entre la fermeté et la crainte de prendre une décision dont les nationalistes turcs et l’armée pourrait se servir pour alimenter un rejet de la stratégie d’adhésion à l’Union européenne.
Domaguil