Téléchargement illégal, divergences sur la riposte graduée entre la France et l’Union européenne
Le Parlement européen et la Commission européenne font échec à la « riposte graduée » : un amendement ajouté par les eurodéputés au paquet telecom actuellement en discussion par le législateur européen, met en péril la procédure prévue en France pour sanctionner le téléchargement illégal d'oeuvres protégées par le droit d'auteur.
Le projet de loi Création et Internet présenté par la Ministre de la Culture, Christine Albanel, le 18/06/2008 prévoit que les internautes téléchargeant illégalement seront avertis qu’ils s’exposent à des sanctions par la Haute Autorité de régulation qui sera mise ne place. Ils recevront deux avertissement successifs aux termes desquels, s’ils n’en n’ont pas tenu compte, ils seront sanctionnés par une suspension de l’abonnement internet de 3 mois à 1 an, assortie de l’interdiction de se réabonner pendant la même durée auprès de tout autre opérateur. Mais ce dispositif, appelé aussi « riposte graduée » se heurte à un amendement que vient de voter le Parlement européen à l’occasion du vote du paquet telecom, amendement 138 précisant qu'il ne peut être apporté de restrictions « aux droits et libertés fondamentaux des utilisateurs finaux sans décision préalable des autorités judiciaires, notamment conformément à l'article 11 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne concernant la liberté d'expression et d'information, sauf lorsque la sécurité publique est menacée, auquel cas la décision peut intervenir ultérieurement ».
Nicolas Sarkozy a écrit au Président de la Commission européenne pour demander le rejet de l’amendement. Mais M.Barroso ne l’entend pas de cette oreille et, dans une lettre du 07/10, il a tout bonnement opposé une fin de non recevoir en infligeant au Président de la République française un cours sur la procédure législative européenne, d’où il ressort que pour sa part, elle « respecte cette décision démocratique du Parlement européen » à laquelle elle ne trouve rien à redire, et que c'est au Conseil des ministres de l'Union européenne de décider de la suppression ou non de cet amendement. Et de poursuivre en « invitant » le gouvernement français « à exposer son point de vue sur l’amendement 138 aux ministres des 26 autres États membres ». Quelques jours plus tard, c’est le Conseil économique et social européen qui, dans un avis du 20 octobre, critique l‘analyse française. Le CESE estime qu' « il y a lieu d'insister sur l'éducation, plutôt que sur la répression », et souligne qu' « il faut éviter de criminaliser la jeunesse, que les méthodes retenues doivent être conformes au principe de proportionnalité et trouver un juste équilibre entre les droits et les libertés et les intérêts en cause », et conclut que « les mesures pénales et les procédures d'exception mises en oeuvre dans le projet de loi… en France vont bien au-delà des exigences de l'OMC ». Selon le rapporteur du CESE, M. Retureau, « donner des compétences pénales à des sociétés de distribution en demandant aux fournisseurs de services sur internet de communiquer des listes de noms en cas d'échanges de fichiers "peer-to-peer (P2P) reviendrait à déléguer à des personnes privées des pouvoirs qui appartiennent normalement au juge, et constituerait un risque permanent de violation de la vie privée ».
Imperturbable, le Gouvernement français maintient son projet dont l’examen vient de commencer au Sénat hier, estimant que la réponse graduée a fait ses preuves (selon le rapporteur du projet de loi au Sénat : « Aux États-Unis, 70 % des internautes renoncent au téléchargement illicite dès réception du premier message d'avertissement, 85 à 90 % au deuxième et 97 % au troisième »).
Pour Chrsitine Albanel : « à supposer que la disposition permanente, à domicile, d'un accès à internet puisse être regardée comme une liberté fondamentale, comment méconnaître le fait qu'aucun droit n'est inconditionnel ? Tout droit, en effet, doit être concilié avec les autres libertés et ne saurait être invoqué pour les violer impunément »., ajoutant : « La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes rappelle la nécessité de concilier droits des artistes et liberté de communication sur les réseaux numériques ; la Cour de cassation estime que le respect des droits des auteurs ne constitue pas une entrave à la liberté de communication et d'expression ou à la liberté du commerce et de l'industrie. Tout notre droit est traversé par l'exigence d'un équilibre entre des libertés et des droits antagonistes : au nom de quoi l'environnement numérique échapperait-il à cette règle ? ».
La course de vitesse est lancée entre le législateur français et le législateur européen.