La définition des indicateurs qui permettent de constater une situation de déséquilibre macro économique a été délicate. La surveillance prend la forme d'une procédure avec un mécanisme d'alerte afin de détecter rapidement des déséquilibres macroéconomiques naissants. Les déséquilibres sont détectés grâce à des indicateurs dont l'évolution est surveillée: quand ils passent au rouge, la Commission les analyse et, sur la base de cette analyse, le Conseil peut déclencher des sanctions. Mais quels devaient être ces indicateurs? La question est hautement politique ainsi que le montre la discussion qui a opposé les députés de gauche et de droite, les premiers demandant la prise en compte de critères tels que le creusement des inégalités ou la hausse du chômage. Il s'agissait de s'assurer que la Commission ne prenne pas seulement en compte des indicateurs purement économiques mais également des indicateurs sociaux et tienne compte des retombées des politiques nationales sur l'économie réelle. Autre sujet de discussion: fallait-il considérer, au grand dam de l'Allemagne et des pays du Nord, que des excédents d'exportation ou de balance des paiements devaient être classés comme déséquilibres economiques? Les députés ont finalement obtenu que la Commission ne prendrait pas seulement en considération les pays avec un déficit commercial mais également ceux dont les comptes courants sont en excédent, lorsqu'elle enquête sur les sources d'instabilité macroéconomique. Quant à l'inclusion d'indicateurs sociaux, le texte voté par le Parlement ne la prévoit pas (Résolution législative du Parlement européen du 28 septembre 2011 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques).
Il indique cependant que, lors de l'analyse de ces indicateurs, la Commission "accorde une attention particulière aux évolutions de l'économie réelle, notamment à la croissance économique, aux résultats en termes d'emploi et de chômage, à la convergence nominale et réelle tant au sein de la zone euro qu'à l'extérieur de celle-ci, aux évolutions de la productivité et à ses éléments moteurs pertinents, tels que les activités de recherche et de développement et les investissements étrangers ou intérieurs, ainsi qu'aux évolutions sectorielles". La question est de savoir si elle le fera ! Tout dépendra en fait de la couleur politique dominante à la Commission et au Conseil. Certes, la résolution votée précise que la liste des indicateurs sera publique et qu'ils seront régulièrement "évalués, ajustés ou modifiés lorsque cela est nécessaire" (article 4). Mais, là encore, la modulation possible dépendra de la volonté de la Commission et du Conseil d'en faire usage. De même, le bilan établi par la Commission sur un état dont elle considère qu'il peut être touché par un déséquilibre ou risque de l'être devra tenir compte "des spécificités nationales en ce qui concerne les relations du travail et le dialogue social": les salariés apprécieront cette précaution louable! (La Confédération Européenne des Syndicats (CES) a accueilli fraichement l'adoption du "paquet" gouvernance économique européenne, dans un communiqué du 28/09/2011).
En résumé, beaucoup d'incertitudes existent sur ce que sera l'application des règles.
Une observation semblable peut être faite au sujet des critères dits de Maastricht (déficit public limité à un maximum de 3% du PIB, dette publique plafonnée à 60% du PIB). Les eurodéputés des partis de gauche demandaient que les investissements productifs ne soient pas pris en compte dans ces calculs, arguant qu'il y a des deficits "pour la bonne cause" en quelque sorte, c'est-à-dire pour favoriser la croissance en investissant dans les secteurs qui créent de la richesse et préparent l'avenir (ex: recherche). Mais ils n'ont pu rallier une majorité parlementaire.
Le Parlement européen demandait aussi que l'application de nouvelles procédures de gouvernance économique puisse être contrôlée de façon plus indépendante du Conseil. Cela passe, en amont, par plus de transparence grâce à la publication de davantage de textes et de débats. Les pouvoirs de la Commission sont renforcés : elle pourra obtenir plus d'informations des états et pourra effectuer des missions de surveillance dans les pays membres. Une surveillance plus grande sera exercée sur les états grâce à l'implication du Parlement européen et des parlements nationaux. Des échanges de vues entre la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement et les représentants des États membres sont ainsi prévus ("dialogue économique"). Et, par exemple, le Conseil qui s'engage dans les textes votés à suivre les recommandations de la Commission, devra s'expliquer en public s'il ne le fait pas, dans le cadre du "dialogue économique". Autre exemple: le Parlement pourra inviter à des auditions les ministres des finances des pays ayant reçu un avertissement.
Ces mesures destinées à renforcer la gouvernance économique européenne ont fait apparaitre un clivage entre les partis de gauche et les autres, non pas tant sur le principe de la gouvernance économique (hormis chez les partis eurosceptiques) que sur la question de savoir au service de quelle politique mettre ces nouvelles procédures. Car si certains, à l'instar de l'eurodéputée Sylvie Goulard (démocrates et libéraux), faisaient remarquer que "Le Parlement est le lieu où s'exprime le souci des populations de ne pas être soumises à des cures d'austérité qui les mettent à genoux. On n'a pas fait l'Europe pour ça ; le préambule du traité de Rome affirmait que l'objectif était de favoriser le bien-être des Européens", d'autres soulignaient que, précisément, le paquet législatif "gouvernance" se concentre de trop près sur la correction fiscale, au détriment de la croissance et de l'emploi. Or les politiques d'austérité mettent en péril la reprise économique et l'emploi. A l'inverse, les partis de droite défendent la nécessité de la rigueur budgétaire pour restaurer la confiance et ne pas aggraver la dette.
Toute la question est de savoir s'il y a suffisamment de flexibilité dans les règles adoptées pour permettre des réformes structurelles. Comme on l'a vu avec l'exemple des indicateurs des déséquilibres économiques, une modulation est possible. Dès lors, l'application qui sera faite du pack gouvernance pourrait être très différente selon que l'on aura des majorités "austères" acquises aux règles du marché et à la rigueur budgétaire, ou au contraire des majorités "dépensières" misant sur la régulation et l'investissement. Plus vraisemblablement, la solution se situera dans un moyen terme qui est loin de représenter la solution de facilité: mettre en place des mesures d'austérité dans certains domaines et parallèlement faire les investissements financiers nécessaires pour le futur, et faire en sorte que les différentes classes sociales contribuent de de façon équitable aux efforts de rigueur.
De plus, le paquet gouvernance n'est ni une panacée ni un aboutissement. La supervision financière, la transparence et la régulation des marchés financiers sont également des chantiers importants. Les propositions de la Commission européenne concernant la création d'une taxe sur les transactions financières, les discussions en cours sur les euroobligations montrent que, au moins, la réflexion avance au niveau de l'UE, peut-être aussi sous la pression des peuples.
Domaguil